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https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/12/16/une-contribution-au-debat-sur-le-futur-du-fsm-chico-whitaker/

Une contribution au débat sur le futur du FSM – Chico Whitaker

Ce texte, pensé initialement juste comme une petite contribution au débat sur le futur du FSM, s’est finalement transformé en un long commentaire au sujet d’un texte d’Óscar González César[1], du Mexique, membre d’un groupe qui s’est dénommé “Groupe rénovateur du FSM”, texte publié le 7 novembre dernier sur la liste de discussion du Conseil international du FSM. Au moment où je le terminais, j’y ai ajouté des commentaires au sujet d’un texte de Francine Mestrum[2], également membre du groupe rénovateur d’Oscar, et publié plus récemment, le 5 décembre.


Avant de publier son texte, Óscar me l’avait envoyé personnellement. Je l’ai remercié et fait quelques observations, et  pensais en rester là, pour ne pas reprendre une discussion fatigante qui dure depuis vingt ans – d’autant plus sous la pression de la pandémie, notamment pour ceux de mon âge. Je me suis également rappelé de diverses tentatives, toutes infructueuses, pour clarifier les choses avec Boaventura de Souza Santos, qui fait lui aussi partie du groupe d’Óscar. Je me suis même demandé si cette discussion avait du sens alors que la majorité des participants aux Forums sociaux mondiaux est plutôt intéressée de savoir quand et où aura lieu le prochain Forum.


Cependant, en relisant avec plus d’attention le texte d’Oscar, ainsi qu’un autre texte de son Groupe Rénovateur, qui faisait un compte-rendu déformé d’une réunion du Conseil international -CI[3] ayant eu lieu lors du FSM 2016, à Montréal, j’ai réalisé qu’ils allaient plus loin qu’il ne m’était paru à première lecture, et qu’il était nécessaire d’écrire quelque chose sur ce qu’ils y disaient.


Cela m’a paru encore plus nécessaire à la lecture du texte de Francine Mestrum.


J’ai alors été impressionné par la quasi férocité avec laquelle elle attaque le FSM et ceux qui ont participé à sa création, qu’elle appelle les «pères fondateurs»[4], en inventant des histoires incroyables, comme celle où l’un d’entre eux se serait un jour exclamé «avec fierté: “Le Forum, c’est moi” ». Ou en disant que de bonnes propositions avaient été «rejetées» lors des FSM (on ne sait pas qui aurait tout ce pouvoir), comme le “Manifeste de Porto Alegre“[5] en 2005 et “l’Appel de Bamako“[6], en 2006. Ou encore en écrivant des choses incompréhensibles comme «on craignait de parler de politique» au CI[7].


Les positions d’Oscar et de son Groupe  se sont construites  depuis longtemps, en réaction principalement au le fait que la Charte de principes du FSM empêche qu’il y ait des Déclarations Finales des Forums, et que son Conseil International prend des positions politiques en son nom. Ils insistent donc pour changer cette charte[8] qui serait, selon Francine «responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le FSM». Mais ils sont aussi gênés par des choses qui ne sont pas dans la Charte, mais qui font partie de pratiques déjà traditionnelles dans le processus du FSM, comme la décision par consensus dans le Conseil International ou le fait d’organiser les Forums principalement à partir d’activités autogérées par leurs participants[9].


Le problème est que ces positions (celles d’Óscar et de son Groupe) conduiraient très probablement à la disparition des FSM dans leur configuration actuelle, c’est à dire un espace d’échanges, de réflexion et d’articulation pour l’action, dans l’énorme quantité et diversité résultant de la propre hétérogénéité de la société civile, invitée principale de cet événement.


Pour ma part, je déplorerais que cela se produise, et sans doute beaucoup d’autres personnes aussi. D’autant plus que, justement maintenant, les organisations et mouvements sociaux du monde entier ont encore plus besoin de pouvoir compter sur des rencontres comme celles du FSM, afin de pouvoir articuler leurs actions face à des menaces bien plus graves que celles auxquelles nous étions confrontés en 2001 : la forte augmentation des inégalités dans les sociétés et entre les régions et les pays; la croissance de l’extrême droite et les distorsions qu’elle parvient à faire dans le fonctionnement de la démocratie; la possibilité d’un effondrement environnemental de la planète jusqu’à l’extinction de l’espèce humaine elle-même.


Je me suis aussi demandé s’il était opportun de diffuser ce texte maintenant. Le Conseil international est intensément occupé par la préparation d’un Forum social mondial virtuel en janvier prochain, ce qui est un défi particulièrement difficile,  non pas du point de vue des contenus qui y seraient discutés – qui sont si graves qu’ils en deviennent évidents – mais du point de vue de la façon de rendre possible cette discussion, puisque les rencontres en présentiel, comme le sont les Forums en temps normal, ne sont pas encore possibles, et que les nouveaux instruments créés pour la communication virtuelle sont encore en phase d’expérimentation.


Cependant, j’ai été informé que ce débat pourrait déjà avoir lieu lors du Forum virtuel de janvier prochain, et j’ai alors considéré qu’il est même opportun de diffuser ce texte maintenant.


Dans ce texte j’indique à quel type de Forum les propositions du Groupe de Oscar nous conduiraient probablement, puis je développe les différences de vision entre leur manière de voir le combat pour «un autre monde possible» et celles qui ont prévalu au FSM et, enfin, je parle de quelque chose dont on se souvient à peine : le rôle du FSM actuel comme camp de base de l’action vers cet «autre monde».


I – À quel type de forum les propositions du groupe de Óscar nous conduiraient-elles ?


Plus d’une fois Óscar González dit, sans mâcher ses mots, que le FSM est un échec. Et que les coupables sont ceux qu’il appelle «nos amis altermondialistes brésiliens ». Selon lui, ce sont des gens de «bonne foi» mais «romantiques» et «rêveurs», qui ont des «attitudes fondées sur le dogmatisme» et  la «simulation idéologique»; qui ont créé le FSM sans «règles opérationnelles claires sur la conduite et l’autogouvernement de ce processus». Il dit également qu’ils ont «démarré» leur «expérience» «sans structures de gouvernement ni de hiérarchies» qui lui permettraient de passer à une «action unitaire au nom du Forum»[10]; et il fait des accusations – qui seraient graves, mais je pense que je ne les ai pas comprises – telles que «l’alignement avec des intérêts qui l’emportent sur le bien-être des classes populaires à travers le monde».


D’autres déclarations d’Oscar nous font penser qu’il n’aime vraiment pas les «Brésiliens», peut-être parce que ceux-ci considèrent qu’il peut y avoir de la joie dans l’action politique: après avoir souligné que «ce n’était pas une tâche facile d’organiser des réunions de personnes aux idées politiques et aux cultures si diverses » pour influencer les changements mondiaux, il dit qu’ils ont créé « une espèce de fête ou de «carnaval» politique »[11].


Mais à quoi ressemblerait alors le FSM qu’ils proposent ? Sans aucun doute, vu le ton des déclarations d’Oscar (ainsi que de celles de Francine), ce serait un Forum comme beaucoup d’autres – y compris comme le Forum économique de Davos – attractif uniquement pour les personnes inscrites et leurs adeptes : très bien structuré, sans la confusion, les improvisations ou la mauvaise organisation du FSM, avec de grands auditoires qui recevraient enseignements et conseils venus d’en haut, donnés par des dirigeants politiques ou des intellectuels célèbres capables de parler des choses vraiment importantes[12]. Il y aurait des hiérarchies claires entre les organisateurs et leurs assistants bien rémunérés et des hôtesses bien habillés ;  des «axes thématiques» pour les discussions, définis avant la «convocation» de ses participants, et déterminant  «comme priorité majeure l’organisation de débats sérieux». Tout cela grâce à une «direction» du Forum bien formée pour cette fonction et pour choisir les «priorités» pour l’action éventuelle de ceux qui répondraient à leur “convocation”   «sur la base d’une définition claire des questions ou problèmes de fond».


Une autre nouveauté serait le fait que ce type de FSM se lancerait également dans la lutte, avec ses propres actions «au nom du Forum», en prenant des positions claires pour effectivement «changer le monde» – puisque, selon Francine, «aucun « autre monde » n’est possible sans la construction d’un contre-pouvoir ». Elle dit aussi : « En 2001, l’objectif était clairement la construction d’un contre-pouvoir pour donner une voix aux mouvements sociaux, afin qu’ils puissent répondre à la voix qui venait du Forum Économie mondiale de Davos ».


Autrement dit, et pour que l’on comprenne bien, le FSM serait lui-même « le contre-pouvoir», en première ligne, la voix des mouvements sociaux et des organisations, puisque – comme le dit aussi Francine – rien ne se passe «spontanément», et on ne peut admettre que ces mouvements soient «gênés dans leur travail politique par les ONG les plus riches et les plus puissantes», et encore moins par «des organisations chrétiennes[13] ayant une grande peur de tout ce qui ressemblerait à de la politique».


Des militants disciplinés suivraient donc sans aucun doute les mots d’ordre d’une telle «avant-garde» éclairée, ne se permettant évidemment pas de faire des plaisanteries ou des «fêtes»; au contraire, ils affronteraient, sans doute dents et poings serrés de rage, leurs «ennemis» et, jusque dans leurs propres rangs, les moins «conscients» de ce qu’est la «réalité pure et dure», comme dit Óscar. La «marque» du FSM ne désignerait plus une rencontre mondiale, mais plutôt ce nouveau et puissant «sujet politique global».


Mais je demande: quel sort réserverait ce FSM “renouvelé” (ou “SPG”, en ces temps où tout devient acronyme …) au FSM actuel, qui est déjà devenu un Bien Commun de l’Humanité, sans propriétaire, qui peut donc être utilisé par ceux qui le trouvent utile, comme cela a été dit en 2009 à Belém, au Brésil, lors du Forum où ce concept a été le plus discuté?[14] Dans le même ordre d’idées, je demande: que vont faire les «propriétaires» du FSM face à la tendance – née immédiatement après la tenue du premier FSM en 2001 et de plus en plus forte aujourd’hui – à la multiplication des forums sociaux, ce que l’on appelle le «processus FSM»?[15] Il faudrait aussi se demander: que feront-ils des forums thématiques qui s’approprient également la «marque» du FSM? [16]


En bref, si nous suivons les idées d’Óscar et de son Groupe, il n’y aurait pas seulement des changements majeurs ou mineurs dans la Charte de principes du FSM. Il y aurait un changement total dans le caractère et la nature du FSM[17], qui viendrait alors commander la lutte pour «un autre monde possible». Avec une structure verticalisée,  dans une vision autoritaire de ce que devrait être le FSM – et donc aussi du mouvement qui se substituerait à ce qu’il est aujourd’hui – contraire aux valeurs de «l’autre monde possible», que nous voulons construire avec des méthodes compatibles avec ces valeurs.


Et la disparition du FSM actuel entraînerait aussi la disparition de l’espace en camp de base  de la lutte que le FSM assure aujourd’hui, pour que ses participants puissent préparer cette lutte puis l’évaluer pour rechercher une plus grande efficacité. C’est un rôle irremplaçable du FSM actuel (et dont je parlerai plus loin dans ce texte), tout comme celui d’accueillir, dans son horizontalité ouverte, de plus en plus de personnes prêtes à participer.


II – Le FSM comme innovation politique


Innover dans les pratiques politiques est une exigence pour tous ceux qui n’agissent pas de façon bureaucratique, mais qui cherchent à atteindre réellement leurs objectifs. C’est dans cette perspective que j’ai dit, dans certains de mes textes cités par Oscar, que «cela demande l’abandon de pratiques façonnées par plus de cent ans d’action politique verticale». Au fait, il me cite plusieurs fois, mais je ne me reconnais pas dans toutes ces citations[18].


A ce sujet je voudrais indiquer,  pour ceux que cela intéresse, le livre de l’un des créateurs du FSM, José Corrêa Leite, publié en 2003, et dont le titre est  «Forum social mondial: l’histoire d’une invention politique»[19]. Dans ce livre, il analyse comment sont apparues les innovations dans le FSM. Le résumé de sa thèse de doctorat, à l’Université catholique de São Paulo dit clairement le sens qu’il voit dans le FSM (traduction libre): «A partir d’une série de phénomènes politiques, qui dépassent les cadres nationaux et configurent un mouvement pour la justice globale, nous avons fait un focus sur le Forum social mondial, qui apparaît comme l’institution exemplaire d’un nouveau type de pratique politique, organisé d’une manière très différente de celles qui existaient auparavant: organisation internationale horizontale, formation de réseaux et de groupes d’affinité, rejet de la représentation, valorisation la diversité. »


Dans le livre sur le FSM que j’ai écrit en 2005[20], je raconte des choses qui ont beaucoup à voir avec la perspective de Corrêa Leite, comme le témoignage d’un militant expérimenté du Parti communiste français. Il avait participé à l’organisation du Forum social européen en 2003 et d’un forum social local dans sa ville. Dans un atelier d’un autre forum social local, cette même année, auquel j’ai moi-même participé, il a dit ce qui se passe avec ceux qui s’engagent dans ce processus: dans le FSM, on «apprend à désapprendre».


Dans un autre paragraphe de mon livre, je raconte ce que j’ai ressenti quand je participais aux réunions du «comité d’organisation» du premier FSM: «tout se passe comme si, sous la table où se dessinent les idées pour l’organisation du FSM et où les coudes s’appuient pour écouter les propositions, une énorme pieuvre était cachée. Alimentée par les pratiques du «vieux monde», ses tentacules longs et forts réapparaissent continuellement de tous côtés, essayant de jeter sous la table tout ce que l’on tente de créer de nouveau (…) répétant mille fois la même manœuvre avec des couleurs en apparence nouvelles, (…) et nous amenant presque à reculer ».


Je recommande aussi un autre texte, toujours sur le caractère innovant du FSM. C’est un texte très récent (2020), de Sergio Haddad[21], un autre créateur du FSM et grand connaisseur du travail de Paulo Freire[22], dont la réflexion a grandement influencé l’organisation du FSM, et le choix de faciliter les échanges horizontaux de connaissances et d’expériences. Le titre de ce texte le dit clairement: «Le Forum social mondial en tant qu’espace éducatif».


Il est intéressant de noter que la perception de ce qu’est l’horizontalité, qui même avant le FSM, a été adoptée par de nombreux mouvements, comme lors des mobilisations contre l’OMC en 1999 à Seattle, aux Etats-Unis[23], semble totalement échapper aux préoccupations d’Óscar (ainsi que de Francine). Pour Óscar, «Indignados» en Espagne et «Occupy» aux États-Unis, tous deux horizontaux et innovants, ont été «pertinents» en leur temps, comme il l’a dit, mais pas en raison de leur horizontalité. Et en disant que «d’ailleurs, ils se sont déroulés complètement en dehors du Forum», il ne leur passe par par la tête que le FSM, en tant qu’ «organisation internationale horizontale», comme le dit Corrêa Leite, aurait pu influencer, par son succès, les choix fait par ces mouvements pour s’organiser – et même s’il y a eu, bien avant le FSM, des théories et des expériences de non-directivité dans les actions sociales.


Ainsi, je n’ai pas identifié quelle pertinence Oscar voyait dans «Occupy», plutôt «Occupy Wall Street»[24], où un grand nombre de jeunes se sont installés, avec leurs tentes, devant la puissante Bourse de New York, pour dire à haute voix, à ceux qui y étaient, qu’ils étaient les 1% qui exploitaient l’humanité, mais que nous sommes les 99% restants et nous voulons que nos droits soient respectés. Mais il ne me semble pas que ce soit le fait qu’ils aient créé cette image, qui a justement beaucoup aidé à prendre conscience de ce qui se passe dans le monde aujourd’hui.


Il est possible qu’il ait vu de la pertinence dans «Indignados» pour avoir mené à la création du nouveau parti «Podemos», qui a réussi, pour ainsi dire, à «organiser» l’irruption naturelle du mécontentement des Espagnol.e.s envers leurs partis, en affirmant qu’ « ils ne nous représentent pas ». C’est ce que l’on peut conclure de sa vision de l’action politique, quand il dit qu’il est essentiel de repenser les fonctions du Conseil international du FSM, qui, pour lui, devrait être son «gouvernement». Sans évoquer, cependant, l’une des fonctions les plus importantes que le CI avait eues dans son histoire : celle d’élargir le processus du FSM (de multiplier les «lieux sans propriétaires ») aux quatre coins du monde, y compris en choisissant selon ce critère les pays où réaliser ses réunions.


III – Différences de vision sur la manière de voir la lutte pour “un autre monde possible”


C’est peut-être la question qui explique le plus les difficultés d’Óscar et de son groupe avec le FSM tel qu’il est. Car l’existence même du FSM est due, entre autres, pour ainsi dire, à une prise de conscience des potentialités de la société civile, en tant qu’acteur politique autonome et auto-organisé[25], après avoir été manipulé par les dirigeants et partis politiques ou utilisé comme chair à canon de leurs armées pendant de nombreux siècles.  Potentialités qui sont presque celles qui nous permettraient effectivement de construire «l’autre monde possible».


Apparemment, pour eux, cela ne serait possible que par le travail de «chefs» fantastiquement lucides et des ordres donnés à de braves militants.  Mon propos n’est pas, bien entendu, de penser qu’ils espèrent compter, pour cela, sur une homogénéisation de la société sous forme d’une armée disciplinée, où tous sont vêtus d’uniformes identiques, défilent en parades pour montrer leur force et saluent leurs chefs infaillibles avec des gestes et des pas parfaitement égaux, toute une troupe entraînée et prête à tuer et à détruire, comme  l’aiment les militaires.


Mais, même s’ils n’en viennent pas à de telles simplifications, qui n’ont aucun sens, ce qu’ils proposent c’est de retomber – sans les innovations politiques comme celles que le FSM a commencé à expérimenter il y a 20 ans – dans les anciens modèles d’action politique, comme celui de la création d’un nouveau « sujet politique », prêt à rivaliser avec les autres  pour une position hégémonique .


Personne ne peut être contre l’émergence de nouveaux «sujets politiques»,  et encore moins de ceux qui se veulent «globaux». S’ils sont nécessaires, qu’ils soient créés dès que possible. Pourquoi, par exemple, ne pas faire réapparaître – et l’annoncer y compris dans l’espace libre du FSM – l’Assemblée des Mouvements Sociaux, en l’appelant Assemblée Mondiale, mais une Assemblée autonome par rapport au FSM? Celle qui a refait surface dans chaque FSM, tout au long de ses 20 ans, était très «accroché» au Forum, comme si elle dépendait de lui pour atteindre ses objectifs[26].


Le problème n’est donc pas de faire comme les Espagnols, qui ont créé un nouveau «sujet politique national», mais plutôt de prétendre que le FSM lui-même devienne un «sujet politique mondial», ce qui l’amènerait à ne plus remplir son rôle actuel auprès des acteurs de la lutte pour «l’autre monde possible».


Ce qui semble échapper à Óscar et à son groupe, c’est que nous n’atteindrons pas «l’autre monde possible» d’un seul coup – comme dans un coup d’État où, du jour au lendemain, certains s’approprient la richesse d’un pays, avec des coups de feu ou, comme aujourd’hui, avec des manœuvres légales ou même par des processus électoraux déformés. Pour arriver à ce qui est notre utopie, il faudra lutter sans relâche pendant longtemps pour vaincre la domination du monde par la logique et la culture capitalistes, consolidées au fil des siècles dans les esprits et les cœurs d’une grande partie de l’Humanité. Aujourd’hui, celle-ci est réduite au rôle de consommateur de la production sans limites d’une gigantesque machine mondiale de production industrielle de biens matériels ou uniquement  comptables, de la monnaie elle-même, machine qui a totalement échappé au contrôle des êtres humains mais est totalement dépendante du commerce et de la consommation.


Dans cette logique et cette culture, le moteur des activités humaines, dans tous les secteurs de la vie et dans tous les lieux du monde – sauf chez les peuples non «modernisés» – est la compétition permanente et très cruelle entre tous, dans un individualisme égoïste et la recherche permanente d’opportunités d’affaires et de profit là où elles existent, même si c’est au détriment de la vie des gens et de la nature,  sans retour, dans la seule recherche de richesses ou des biens matériels dès qu’on est sorti de la pauvreté.


Et c’est là que la société civile surgit en tant qu’acteur politique aux multiples facettes, extrêmement hétérogène et ingouvernable, mais capable, pour cette même raison, d’opérer des changements dans tous les méandres du monde dans lequel nous vivons. Nous n’atteindrons «l’autre monde possible» que dans longtemps  – même si ce serait bien mieux pour l’humanité et sa survie en tant qu’espèce si ce temps n’était pas trop long – dans un processus cumulatif de «transition», avec des victoires et des défaites et des milliers de changements, de tous types, à tous les niveaux, chacun à son rythme, sa dimension, ses moyens et ses protagonistes, impactant les aspects économiques, sociaux, environnementaux, institutionnels, de communication, culturels, etc., dans une grande diversité, et exigeant de grandes mobilisations mondiales ou locales, mais aussi des objections de conscience individuelles. C’est une véritable révolution, qui comprendra de nombreuses «réformes» ainsi que d’éventuelles ruptures et changements qualitatifs,  le tout impactera la conscience de chaque citoyen de la planète.


C’est dans cette perspective que doit être compris le rôle fondamental et irremplaçable que peut jouer la société civile dans notre lutte, ainsi que l’importance de son entrée en tant qu’acteur autonome: c’est justement grâce à son hétérogénéité et seulement par son action que nous pouvons obtenir les changements profonds dans  la grande diversité des aspects et des dimensions de la vie de la société, nécessaires à cette «transition» vers «l’autre monde possible»[27].


Et dans la lutte de cet acteur politique, «l’invention» de l ‘«espace ouvert» du FSM, capable de l’accueillir dans toute sa diversité, a été très opportune. Et la décision de le garder comme camp de base autonome de ce combat le serait tout autant.


IV – Pourquoi penser un camp de base, ou une base arrière, autonome dans la lutte pour «un autre monde possible».


Toute lutte politique doit avoir un camp de base, où ceux qui vont se lancer dans l’action peuvent la préparer, en fixant clairement leurs objectifs, en choisissant la meilleure stratégie pour y parvenir, en organisant l’action, en se répartissant les tâches et les responsabilités. Sans ces précautions, recommandées dans tout bon manuel de planification, le risque d’échec est grand. Il ne faudra improviser que lorsque l’on se rendra compte, déjà en pleine action, qu’il y a eu de mauvaises décisions ou des surprises avec des choses qui n’ont pas été prévues – ce qui est toujours possible, car personne ne peut tout prévoir.


De la même manière, cet espace doit également être disponible à la fin de l’action, pour pouvoir l’évaluer et en tirer des leçons pour les actions suivantes, analyser le succès plus ou moins grand des décisions prises avant l’action et pendant celle-ci.


La meilleure façon d’éviter de très grosses erreurs est de faire participer ceux qui passent à l’action à ce processus de décision et d’évaluation. C’est quelque chose qui est très difficile dans les gouvernements et les entreprises, qui en viennent à séparer et à spécialiser dangereusement les fonctions de du penser et celles du  faire. C’est pourquoi la planification participative a été «inventée». Elle est impossible dans les actions militaires avec ses effets «collatéraux» et très désapprouvée par les dirigeants autoritaires. Et l’une des dimensions les plus importantes de “l’invention” du FSM est d’avoir créé ce camp de base, sans commandement ni direction de quiconque ou d’aucune organisation ou parti, pour remplir toutes ces fonctions pour toutes les actions extrêmement diversifiées nécessaires à la construction de “l’autre monde possible »[28].


Le FSM est aussi un moyen pour que ceux qui mènent les différentes actions puissent découvrir des convergences qui permettent de construire de nouvelles alliances. Et une façon d’accueillir, dans son horizontalité ouverte, tous ceux qui veulent s’approcher et relier leurs luttes à d’autres plus larges et plus décisives pour changer le monde. Attirés par le FSM et son message d’espoir, y participant avec leurs campements autogérés, des centaines ou des milliers de jeunes citoyens commencent à découvrir qu’ils doivent participer à ces luttes.


Je dirais que ce camp de base n’est pas seulement utile, il est essentiel, autant que l’action. Ils sont complémentaires l’un à l’autre. La réflexion sans action est aussi néfaste que l’action sans réflexion. Mais il ne suffit pas que chaque mouvement ou organisation de la société civile ou chaque «sujet politique» créé réfléchisse, isolé dans son monde, sur ses propres luttes. Il faut, compte tenu de la diversité et de l’ampleur de la construction de «l’autre monde possible», que ces réflexions s’appuient les unes sur les autres, de manière autonome, avec ce qu’on apprend et découvre dans l’hétérogénéité de la société civile, offerte à tous dans des espaces ouvert comme le FSM[29].


Le FSM en tant que nouvel instrument de lutte politique a commencé à exister[30] en janvier 2001, et a amené Ignacio Ramonet, directeur du journal français Le Monde Diplomatique, à titrer sur la première page de son numéro de janvier 2001: «Le 21e siècle commence à Porto Alegre ». Ce serait presque un crime de lèse-humanité de faire disparaître cet instrument, et de laisser des «sujets politiques globaux» tenter – prétentieusement – de «diriger» l’action de la société civile, du monde entier, qui participe au FSM. Laissons leurs «facilitateurs» (et non  «dirigeants») continuer à chercher, lors de chaque Forum et en tirant les leçons du précédent, avec l’aide des membres du CI disponibles pour cela, le meilleur moyen d’atteindre cet objectif d’appui, de camp de base de l’action concrète des mouvements sociaux et des organisations de qui dépend, effectivement, avec d’autres acteurs politiques, le changement du monde.


V – indications


Pour ceux qui souhaitent en savoir un peu plus sur ce qui est discuté depuis 20 ans sur le FSM, j’ai choisi trois textes que j’ai écrits et qui contiennent des réflexions sur ce sujet: un texte de 2003[31], un autre de 2009[32] et un troisième de 2019[33].


Le premier texte, de 2003, «Notes pour le débat sur le FSM», commence par la discussion sur la différence entre «mouvement» et «espace». J’ai essayé d’y indiquer les raisons pour lesquelles, au FSM, la forme de «l’espace» a prévalu, alors qu’étaient déjà là ceux qui voulaient sa transformation en «mouvement» – comme le souhaiterait maintenant le Groupe Réformateur d’Oscar. Je disais en 2003, que des luttes pour le pouvoir de diriger ce mouvement surgiraient forcément, et mèneraient à s’écarter de l’un des principes de la charte du FSM, selon laquelle cet événement n’est pas le lieu de conflits de pouvoir.


Dans le deuxième texte, de 2009, «Les Forums sociaux mondiaux vers un autre monde possible», j’ai donné une vision plus large de ce qu’était concrètement le FSM. C’était ma contribution à un séminaire sur le FSM cette année-là, à l’Université de Sofia, à Tokyo[34], avec un public qui en grande partie ne le connaissait pas.


Dans le troisième texte, de 2019, “Forum social mondial – perspectives possibles”, rédigé à la demande du magazine finlandais “Globalisations”, j’ai fait un effort particulier pour me souvenir de la genèse des décisions prises tout au long de l’année 2000, avant le premier FSM, décisions qui ont dessiné son format qui s’est ensuite consolidé l’année suivante dans sa charte de principes.


J’ai voulu montrer, dans ce texte, que ces principes ont été le résultat progressif de nombreuses réflexions et discussions tout au long de l’année de préparation du premier FSM, avec des décisions prises, par consensus, par les représentants de huit organisations et  mouvements de la société civile brésilienne, extrêmement diversifiés en termes d’objectifs, de domaines d’action et de dimensions.


Dans cette perspective, on peut dire que la Charte n’a pas été modifiée tout au long des 20 ans du FSM non pas parce qu’elle serait  sacrée – impossible à changer car elle aurait été reçue d’une entité supérieure, comme aiment à le dire ceux qui  n’aiment pas la Charte – mais parce que les lignes directrices qu’elle contient ont garanti le succès des FSM pendant cette période et c’est à cette fin qu’elles ont été rédigées sur la base de l’expérience du premier FSM et de son extension, ce que nous avons appelé le «processus du FSM». La modifier, comme le prétend le Groupe Rénovateur, n’en vaudrait la peine que si nous constations que les prémisses de ses Principes ont été modifiées.


Le texte de 2019 explique également pourquoi sept des quatorze principes de la Charte insistent pour que les discussions et les échanges réalisés au sein du Forum débouchent sur des décisions d’actions concrètes – ce qui nous amène à nous demander si ceux qui proposent aujourd’hui que le FSM devienne un «espace d’action» ont vraiment lu la Charte.


Pour compléter la vision de ce qui a été discuté sur le FSM dans ses premières années, je me permets encore d’indiquer le livre «Le défi du Forum social mondial – une façon de voir»[35], auquel j’ai déjà fait allusion dans ce texte. Publié en 2005, il est facilement accessible car il est disponible en six langues. Dans ce livre, je présente ce que j’ai débattu de manière exhaustive, dans des dizaines d’entretiens que j’ai donnés et d’articles écrits jusqu’à cette date, sur les doutes qui avaient commencé à être soulevés sur ce qu’était et ce que devrait être le FSM. Mais son sous-titre “une façon de voir” montrait que je ne voulais pas cacher qu’il y avait des points de vue différents sur le FSM.


Dans ce livre, j’aborde également d’autres questions qui dérangent Óscar et son groupe, comme question de la décision par consensus. Et je raconte des choses curieuses, comme le fait que cette manière de décider a été adoptée par le “Comité d’Organisation” du premier FSM comme point 18 d’un “Accord de Programme” des huit organisations qui le composaient, pour garantir leur unité face aux défis qui les attendaient dans la préparation du FSM 2002[36].


VI – Pour terminer, quelques observations complémentaires


Il y a de nombreuses déclarations dans le texte d’Oscar (ainsi que dans le texte de Francine) qui mériteraient des commentaires spécifiques. Comme quand, par exemple, Oscar révèle son ignorance sur l’histoire du FSM en disant qu’il a été «parrainé par Lula Da Silva»[37]. Mais ce texte est déjà trop long. Cela ne vaut pas la peine de rentrer dans les détails, même  quand Oscar insiste pour se référer à moi, «avec tout le respect dû», avec de nombreuses citations de mes textes[38], comme si j’étais le plus grand coupable de l’échec du FSM; ou quand il me définit comme l’un de ses «dirigeants», ce qui montre qu’il ne sait pas qu’il n’y en a pas dans les FSM tels qu’ils sont actuellement (il espère sûrement qu’il y en ait dans un FSM «renouvelé»).


Je préfère attirer l’attention sur l’une des caractéristiques des forums sociaux, à laquelle j’ai fait déjà référence, qui est la joie[39]. La joie émerge non pas parce que quelqu’un a déterminé que ce soit ainsi (la joie est quelque chose qui ne peut pas être imposée) mais probablement parce que les gens qui viennent aux Forums s’alimentent d’espoir, en rencontrant tant d’autres personnes engagées dans la même lutte. En même temps qu’ils se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sans craindre les interdictions (sauf la propagande de la violence) ou être contraints de suivre des «directives» ou des «priorités» comme dans les mouvements et les partis. Et ils repartent du FSM chargées d’énergie[40].


Comme conclusion, j’aimerais raconter l’histoire d’un atelier auto-organisé durant le FSM 2003, qui a beaucoup à voir avec  cette classification de l’échec du FSM par Oscar Gonzales. J’ai redécouvert l’histoire de cet atelier en relisant quelques pages du livre “Le défi du Forum social mondial” que j’ai cité précédemment.


Intitulé «Dépasser les logiques de rivalité et de pouvoir: un défi pour le Forum Social Mondial”, cet atelier a été proposée par l’association française “Interactions“[41], et a réuni 50 participants, qui ont rempli la salle. Ces participants ont reçu une feuille avec 6 questions, et l’atelier a suivi la méthode «d’inversion» proposée par Paul Watzlawick, professeur américain de l’école de Palo Alto, en Californie. Il a écrit, entre autres deux livres qui s’intitulent  «Comment réussir à échouer» et «Faites-vous votre malheur».


Les participants de cet atelier ont abouti à un texte énonçant ce qu’il fallait faire face au fait que «le capitalisme, l’impérialisme, le G7, les grands médias et les multinationales n’avaient pas réussi à empêcher l’émergence d’une société civile et civique mondiale et le succès de ses réunions annuelles du FSM à Porto Alegre ». Il a conclu que pour les forums échouent, « il sera nécessaire de compter sur nos propres forces » (…) « et d’explorer systématiquement » les efforts à faire dans cet objectif.


Même s’ils se sont bien amusés à écrire ce texte, ils ont décidé de ne pas le diffuser, de peur que l’ironie soit mal comprise ou interprétée.  Et ont écrit un deuxième texte où ils ont clairement énoncé leurs inquiétudes, dont celles liées aux relations interpersonnelles dans l’action politique, «la qualité relationnelle, la convivialité, la dimension festive ont été, depuis son origine, l’une des plus grandes raisons du succès du Forum », au contraire de ce qui s’est passé dans les années 60, avec des « pratiques de militantisme professionnel désespérément triste ».


Parmi les insuffisances du travail du Conseil international du FSM dont nous sommes conscients, il y a le fait de ne pas réussir à diffuser largement tout ce qui est produit dans les forums. Il y a des cas où nous sommes vraiment désolés de cela, car cela signifie par exemple que peu de personnes ont lu la “Déclaration finale” de cet atelier, un parmi des centaines voire des milliers qui se sont déroulés durant le FSM 2003,  avec ses 100000 participants[42].


(12.10.2020)


[1]“La renovación del FSM y de su Consejo Internacional”.


[2]“Otro Foro Social Mundial es posible”


[3]Le Groupe Rénovateur du FSM, en déformant le récit d’un épisode lors de la réunion du CI à Montréal, après le FSM 2018, m’a rappelé des processus et des condamnations de triste mémoire. Le texte du groupe dit que le CI a été empêché par un seul de ses membres – pour respecter la Charte de principes du FSM  – de faire une déclaration contre le coup d’État en cours au Brésil. Mais il «oublie» de dire que la veille, le CI avait également refusé, pour respecter la Charte et par consensus, de déclarer son soutien, en tant que CI, à une campagne présentée par des émissaires du mouvement de résistance palestinien. Dans ce cas, une pratique du CI a été adoptée depuis peut-être 2003: de telles déclarations sont possibles mais signées par ceux de ses membres qui le souhaitent, au nom de leur organisation et non au nom du CI.


[4]Dans son texte, Francine non seulement reprend le récit déformé d’une réunion du CI fait dans le texte du Groupe Rénovateur, et cité dans la note précédente, mais elle y ajoute d’autres mensonges pour attaquer ceux qu’elle appelle «les pères fondateurs» du FSM, en disant que, lors de la même réunion du CI l’un d’entre eux a “aussi” empêché “le CI de condamner” le refus du gouvernement canadien de donner des visas aux membres africains pour le forum de Montréal, ou le meurtre de Marielle Franco à Rio de Janeiro “. Ce qui révèle clairement son mépris – voire sa colère – à leur égard.


[5]Le Manifeste de Porto Alegre est un document diffusé lors de la 5e édition du FSM, en 2005, avec 18 signataires qui, selon Boaventura Souza Santos, un de ceux qui l’ont signé – étaient inquiets – à l’occasion d’un événement qui a rassemblé 150000 participants … – «de la marginalisation croissante du FSM sur la scène mondiale». Souza Santos a écrit dans un texte récent qu’ils savaient qu’avec cela ils enfreignaient la Charte de principes du FSM. C’était donc déjà un assaut contre cette charte, comme ceux qu’il continue de mener depuis. Mais  la diffusion du Manifeste n’a pas touché tellement de monde  – peut-être uniquement les journalistes qui séjournaient à l’hôtel où  il a été lancé – à coté des centaines d’autres propositions d’action discutées dans ce Forum. Peut-être parce qu’il a été fabriqué d’en haut, en ne consultant que ceux qui l’ont signé.


[6]L ‘«Appel de Bamako» est un document également présenté d’en haut, également sans respecter la Charte de principes du FSM, à la fin de son édition africaine au Mali, en 2006, année où les «événements du FSM» se sont déroulés presque simultanément en trois continents.


[7]Le dialogue est difficile avec Francine Mestrum, car elle exprime fréquemment des jugements catégoriques, intolérants et définitifs afin de s’opposer à ceux avec qui elle n’est pas d’accord. Elle dit, par exemple, que le FSM a “rejeté” les bonnes propositions, ou bien elle classe comme “inadmissibles” les positions politiques de ses propres camarades en lutte. De plus, on ne comprend pas bien ce que signifient pour elle les mots «politique» ou «débat politique».


[8]Boaventura de Souza Santos est même allé jusqu’à déclarer catégoriquement et publiquement, dans un article paru dans un grand journal de São Paulo, que la Charte allait être enfin modifiée au FSM de Salvador, en 2018. Il ne s’est pas rendu  à la réunion du Conseil après le FSM où cela aurait pu éventuellement être discuté, mais ses alliés ont tenté provoquer cette discussion. Mais en raison d’un manque total de consensus sur la question, elle a été reportée à une autre occasion.


[9]De fait, l’une des caractéristiques du FSM est la manière de programmer les activités qui s’y tiendront – toujours en lien avec les attentes des organisateurs locaux du FSM – à partir de grandes ou petites activités auto-organisées par les mouvements et organisations de la société civile qui s’inscrivent pour participer aux forums.


[10]Óscar dit aussi qu’il est “urgent de repenser la structure même du Forum”, pour  “compter sur la force sociale et le pouvoir unificateur et unitaire que le FSM pourrait et devrait être”, avec “sa force politique globale potentielle”.


[11]Il ne lui manquerait plus que de reprendre la comparaison que les journalistes de droite ont fait,  clairement dénigrante, à propos du FSM: «c’est un Woodstok de gauche».


[12]Il est intéressant de noter que Francine accorde en fait plus de valeur à ceux qui sont au sommet qu’à ceux à la base, en indiquant que parmi les grandes pertes du FSM il y a celle d’importants intellectuels qui, selon elle, faisaient partie du CI au début (à tort, car seuls 3 des 7 mentionnés provenaient du CI) mais s’en sont éloignés “car il n’y a jamais eu de débats politiques”


[13]Mon expérience personnelle avec les «chrétiens» est sans doute toute autre, comme celle avec le cardinal Arns, qui disait que  «la pire façon de faire de la politique est de ne pas faire de politique».


[14]Le FSM 2009 a été particulièrement riche en ouvrant de nouvelles perspectives, comme la prise en compte plus approfondie, dans ses débats, de la question environnementale, et l’incorporation, dans la vision de «l’autre monde possible», d’un objectif social très transformateur, le «bien vivre», grâce à la participation au forum d’un grand nombre de peuples autochtones de toute l’Amérique latine.


[15]Quand Francine Mestrum dit que «les différents FSM ont été des événements, pas des processus», elle ne semble pas se rendre compte que ce que nous appelons «processus du FSM» est la multiplication concrète, à différents niveaux, de forums sociaux et maintenant aussi de forums Thématiques. Elle préfère en rester seulement à ce qui devrait être, plus intensément que ce que nous avons réalisé jusqu’à présent, le travail du CI entre les événements mondiaux.


[16]Les Forums thématiques nés dans le processus du FSM ont tendance à se nommer Forums sociaux mondiaux, suivis de leur thème spécifique, comme le Forum social mondial des économies transformatrices, celui des migrations, Le Forum antinucléaire (qui s’est appelé Forum social Mondial Antinucléaire après deux éditions pour lesquelles il s’était appelé Forum Social Thématique Antinucléaire), Santé et Sécurité Sociale et Droit et Démocratie, récemment créé. Il ne sert à rien de demander aux organisateurs de tels forums de ne pas utiliser le nom WSF, y compris car ils sont effectivement mondiaux, ceci pour ne pas créer de confusion avec l’événement mondial bi-annuel du processus du FSM. Il semble que la «marque» FSM attire beaucoup de monde, et peut-être aussi sa charte de principes. Les nouveaux «propriétaires» de cette «marque» exigeront-ils avec autorité que ces forums thématiques changent de nom, ou feront-ils des recours en justice, comme dans les disputes du monde capitaliste?


[17]Il est intéressant de retranscrire ici quelques lignes de l’introduction de mon livre “Le Défi du Forum Social Mondial” (livre que je propose à la lecture pour ceux qui voudraient en savoir plus) sur le “caractère instrumental du FSM” ” ce ne sera pas au travers [du Forum] que nous construirons un autre monde possible. Il ne changera pas le monde. C’est la société qui le changera (…) …[Le Forum] apporte une contribution spécifique, différente de celle des autres instruments de l’action politique, et cette différence le caractérise comme un moyen au service de ces instruments (…) Le transformer en une force politique majeure capable d’affronter le néolibéralisme le forcera à abdiquer des fonctions qu’il remplit, détruira son extension et enracinement à travers le monde. “(…) Et l'” expérimentation de nouvelles pratiques politiques (…) en son sein  a également des répercussions dans les organisations qui y participent, dans le sens d’une démocratisation de celles-ci.


[18]Le fait que je ne me reconnaisse pas dans mes textes cités par Óscar provient probablement de ce qu’il les a traduits très librement, en me  faisant dire ce qu’il pense que je pense.


[19]Editora Perseu Abramo, S.Paulo 2003.


[20]“O desafio do Forum Social Mundial – um modo de ver” – Editoras Perseu Abramo y Loyola, S.Paulo 2005.


[21]“El Foro Social Mundial como un espacio educador”:   https://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S0101-73302020000100208&lng=en&nrm=iso&tlng=pt


[22]Sergio Haddad a publié en 2019 un livre sur Paulo Freire: “O Educador – um perfil de Paulo Freire”, editora Todavia, São Paulo, 2019   


[23]Cette action victorieuse a même conduit à la multiplication, dans le FSM, des réseaux comme forme horizontale d’articulation politique.


[24]J’ai été intrigué par la référence d’Óscar au mouvement «Occupy Wall Street» ; J’ai alors réalisé que son texte avait été publié par le Wall Street International Magazine, qui a évidemment tout intérêt à faire connaître  les divergences au sein du FSM.


[25]Comme indiqué dans la note 20


[26]Ce n’est pour aucune autre raison que l’Assemblée des Mouvements Sociaux faisait tout son possible pour que ses activités soient programmées dans les dernières activités du FSM et que ses «Déclarations» soient vues comme celles d’un groupe en charge des «Documents Finaux» du FSM, vu que ces documents finaux étaient impossibles car contraires à la Charte de principes. Je me souviens avoir lu précisément cela dans un dossier d’Associated  Press, qui m’a été montré par Bernard Cassen (qui n’est pas brésilien …), un autre fondateur du FSM, assis avec moi dans le public de la session finale du Forum 2004, en Inde. Session pendant laquelle, par coïncidence, quelqu’un de l’Assemblée des mouvements sociaux a réussi à faire passer sa «Déclaration» à l’un des membres de la Table ronde, qui, inattentif, l’a lue à tous ceux qui étaient là …


[27]Dans la dynamique du FSM, il y a de l’espace pour lancer de grandes mobilisations basées sur des propositions portées par certains de ses participants, sans qu’il soit nécessaire que le FSM en tant que FSM les coordonne. Tel a été le cas des mobilisations de 2003 contre l’invasion de l’Irak. Une proposition d’organisations et de mouvements italiens qui a émergé lors du premier Forum social européen de Florence a remporté, lors de ce Forum et des suivants, une adhésion de plus en plus importante à travers le monde, sans qu’il soit nécessaire que le CI du FSM assume le rôle de faire des appels”. Par la force de l’opportunité de cette action et des relations horizontales entre les organisations, 15 millions de personnes sont descendues dans les rues du monde entier pour réclamer la paix. L’invasion n’a pas été empêchée, mais une étape importante a été franchie pour renforcer la conscience anti-guerre dont le monde a besoin pour parvenir effectivement à la paix.


[28]Même pour préparer des slogans à répéter dans des manifestations, j’ai vu, dans des mouvements bien organisés, des groupes «créateurs de slogans» passer un bon moment à identifier les meilleures propositions, pour qu’une voix collective puisse résonner avec force.


[29]Cette perspective d’éducation populaire permet de mieux comprendre le titre de l’article de Sérgio Haddad que j’ai cité : «Le FSM comme espace éducatif».


[30]Jusque-là, la société civile n’avait pas son propre espace de rencontre mondiale et de prise de recul. Les autres acteurs avaient déjà leurs espaces d’interconnexion et de réflexion sur leur action, même au niveau planétaire.


[31]https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/11/10/notas-para-o-debate-sobre-o-forum-social-mundial-chico-whitaker/


https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/11/10/notes-about-the-world-social-forum-chico-whitaker/


https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/11/10/notes-pour-le-debat-sur-le-forum-social-mondial-chico-whitaker/


[32]https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/10/13/les-forums-sociaux-mondiaux-vers-un-autre-monde-possible-chico-whitaker/


[33]https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/06/24/world-social-forum-possible-perspectives-chico-whitaker/


https://senospermitemsonhar.wordpress.com/2020/11/10/forum-social-mundial-perspectivas-possiveis-chico-whitaker-2/


[34]J’avais été invité à cet événement avec Christophe Aguiton, également membre du Conseil, suite au grand succès du FSM de Belém cette même année, avec 150 000 participants, y compris japonais.


[35]Editoras Perseu Abramo y Loyola, S.Paulo 2005.


[36]Le pouvoir unificateur de cette modalité de décision dans la diversité a permis que la moitié des membres du Comité d’Organisation du FSM 2001 continuent à se réunir systématiquement jusqu’à aujourd’hui, dans la plus grande amitié et confiance mutuelle, sans concurrence entre ses membres. Lorsque le FSM a commencé à se tenir dans d’autres pays du monde, il a créé le GRAP – Groupe de réflexion et Appui au processus du FSM, et proposé des activités auto-organisées dans plusieurs FSM. Il a réalisé des séminaires, fait des publications, et intégré d’autres personnes ayant la même vision, et s’est alors renommé Collectif 660, du numéro du bâtiment où il se réunit actuellement et où est installée l’organisation de l’un de ses membres et où a fonctionné le premier Secrétariat du FSM. Ce collectif continue d’être en relation avec d’anciens participants du FSM à travers le monde, avec lesquels il a récemment organisé le «Dialogue mondial pour un changement systémique», toujours en cours, et mènera des activités dans le Forum Social World Virtual de janvier. Il lance également, en ce mois de décembre 2020, avec d’autres organisations, un «appel à une transition écosociale au Brésil».


[37]Lula a participé aux FSM de 2001 et 2002, en tant que citoyen. Il a accédé à la présidence de la République en 2003.


[38]Comme je l’ai déjà dit, sans que je ne me reconnaisse dans de nombreuses de ces citations.


[39]Une spécificité brésilienne a peut être aussi contribué à ce que la joie imprègne efficacement le FSM : dans les années précédant le premier FSM, une phrase de la campagne électorale de Lula, victorieuse deux ans plus tard, a souvent été répétée au Brésil: «sans crainte d’être heureux ».


[40]Comme me l’a dit Susan George, vice-présidente d’ATTAC-France en quittant Porto Alegre après le premier FSM: j’ai accumulé de l’énergie pour au moins de six mois… ».


[41]Cet atelier a été proposé par le philosophe et activiste français Patrick Viveret


[42]Je remercie Óscar de m’avoir amené, pour écrire ce texte, à relire un peu de mon livre de 2005. Ce faisant, je me suis souvenu de nombreux moments passionnants ou amusants du FSM, et de nombreux amis et amies que je me suis fait à travers le monde, avec lesquels j’ai partagé l’enthousiasme de se battre pour «un autre monde possible».