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La citoyenneté locale profite à tous  - Catherine WIHTOL DE WENDEN Chercheure en sciences politiques (CNRS, Ceri) 5 mars 2014 à 17:16

from ben-said2 on Mar 08, 2014 01:28 PM
La citoyenneté locale profite à tous  - Catherine WIHTOL DE WENDEN Chercheure en sciences politiques (CNRS, Ceri) 5 mars 2014 à 17:16

 

 

 

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La citoyenneté locale profite à tous
Catherine WIHTOL DE WENDEN Chercheure en sciences politiques (CNRS, Ceri) 5 mars 2014 à 17:16
Une personne montre des bulletins de vote lors du référendum organisé par le collectif "Votation citoyenne", le 23 mai 2008 à Paris, au sujet du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. (Photo : STEPHANE DE SAKUTIN.AFP)
MUNICIPALES 2014. 

Jusqu’au premier tour, le 23 mars, sociologues, géographes ou écrivains décryptent les enjeux de la campagne. Aujourd’hui, le vote des étrangers.

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En France, on en parle depuis trente ans. Déjà, en 1981, ce thème faisait partie des 101 propositions du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle, et auparavant Jacques Chirac, dans une allocution aux maires des capitales francophones, en 1977, s’y était déclaré favorable. En 1985, François Mitterrand avait ajouté, dans un discours au congrès de la Ligue des droits de l’homme, qu’il y était personnellement favorable mais que l’opinion publique n’était pas prête et qu’il fallait l’aider. Par la suite, à chaque élection présidentielle, le droit de vote des étrangers est revenu au centre des débats, Jacques Chirac faisant de son opposition au droit de vote son cheval de bataille à la présidentielle de 1988, Nicolas Sarkozy s’y déclarant défavorable en 2011 après maints revirements. Ségolène Royal, candidate à l’élection de 2007, s’est prononcée en sa faveur et François Hollande, candidat en 2012, a fait de cette proposition la cinquantième de son programme. Le droit de vote et de l’éligibilité locale des étrangers non communautaires ont emprunté toutes les hésitations du débat politique.


 

 


Entre-temps, la mise en application du traité de Maastricht de 1992 (en son article 8 qui définit la citoyenneté européenne) a conduit à lever une partie des obstacles juridiques qui s’opposaient à la reconnaissance de la citoyenneté locale des étrangers.

On pouvait désormais être citoyen européen sans être national, comme du temps de la Révolution française dans la Constitution de 1793 et de la Commune de Paris de 1871 de même qu’à l’inverse, dans le passé, nombre de nationaux n’accédaient pas à la qualité de citoyen : les femmes jusqu’en 1944, les mineurs jusqu’à 21 ans avant 1974, les militaires sous la IIIe République, les condamnés déchus des droits civiques, les aliénés et surtout les ressortissants coloniaux.

La modification de la Constitution française qui a suivi la signature du traité de Maastricht étendait la citoyenneté locale et au Parlement européen aux citoyens de l’Union européenne. Le débat s’est poursuivi pour les étrangers non communautaires au sein des deux Assemblées : à la faveur d’une «niche parlementaire» à l’initiative des Verts à l’Assemblée nationale, le 3 mai 2000, un texte était proposé et voté pour le droit de vote des étrangers, mais le Sénat ne l’a pas mis à l’ordre du jour. Passé pour la première fois à gauche, celui-ci, le 8 décembre 2011, votait un texte accordant le droit de vote et l’éligibilité aux étrangers non communautaires, mais en termes légèrement différents de ceux de 2000. On en restait donc au statu quo, le texte devant être voté dans les mêmes termes par les deux Assemblées. Aujourd’hui, ces dernières ont l’une et l’autre une majorité à gauche, et la modification constitutionnelle peut se faire par la voie du Parlement réuni en Congrès ou par la voie référendaire.

Dans le même temps, le paysage européen a beaucoup évolué dans le sens de la reconnaissance de la citoyenneté locale des étrangers depuis ces quarante dernières années. Dès 1975, la Suède, puis le Danemark en 1981, les Pays-Bas en 1985 avaient déjà voté au Parlement puis mis en œuvre le droit de vote local et l’éligibilité des étrangers, à une période où la distinction entre étrangers européens et non européens n’existait pas encore. Une autre vague de citoyenneté locale pour tous les étrangers survint lors des années 2000 (Belgique et Luxembourg, Finlande) et de l’entrée dans l’Union européenne des pays d’Europe centrale et orientale (Estonie, Lituanie, Slovaquie, Hongrie mais aussi Chypre) avec ou sans éligibilité, tandis que l’Irlande accordait la citoyenneté locale à tous les étrangers sans aucune condition et le Royaume-Uni aux ressortissants du Commonwealth à toutes les élections depuis 1962. L’Italie a introduit le débat, mais sans issue favorable, en 2005 et l’Espagne et le Portugal ont accordé le droit de vote et l’éligibilité locale sous réserve de réciprocité : il s’agit notamment des étrangers marocains, latino-américains et provenant des ex-colonies portugaises. La Suisse, dans six cantons, a aussi accordé ces droits aux étrangers, dont le canton de Neuchâtel depuis 1848, sans condition particulière.

En France, la non-reconnaissance du droit de vote et de l’éligibilité locale a suscité un militantisme associatif dès 1975. Les droits politiques apparaissaient comme l’étape supplémentaire après l’égalité des droits sociaux acquise pour les étrangers en 1975.

En effet, le droit de vote et la liberté d’association faisaient l’objet d’une même revendication d’accès aux droits politiques, et la liberté d’association fut reconnue aux étrangers par la loi du 9 octobre 1981.

La Ligue des droits de l’homme mène, depuis 1985, un combat sans relâche sur ce thème avec d’autres associations et la Lettre de la citoyenneté. Des partis politiques (le Parti communiste depuis 1981, les Verts) se sont aussi engagés dans ce sens. L’ensemble de la gauche y est majoritairement favorable alors que la question continue à diviser la droite. A l’automne 2012, inquiets de voir la cinquantième proposition du programme présidentiel oubliée des priorités gouvernementales, 77 parlementaires ont lancé une pétition, à l’initiative du député de Seine-Saint-Denis Razzi Hammadi. En janvier 2013, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a ressorti le droit de vote des oubliettes.

Alors que le débat constitutionnel et la dissociation entre citoyenneté et nationalité sont apparus être un rempart franchissable avec le vote local et l’éligibilité des Européens, un autre argument contre le droit de vote a aussi perdu de son poids selon lequel un accès plus large à la nationalité compensait l’absence de reconnaissance de la citoyenneté locale.

L’examen des situations propres à chacun des pays européens et ailleurs montre qu’il n’y a pas d’effet de vases communicants : beaucoup de pays ayant accordé le droit de vote local aux étrangers ont aussi un droit de la nationalité ouvert grâce au droit du sol comme l’Irlande ; d’autres, qui ont accordé précocement la citoyenneté locale, comme les pays nordiques, ont fait une plus large part au droit du sol dans leur nationalité marquée par le droit du sang au tournant des années 2000. A l’inverse, nombre de pays fermés au droit de vote ont un accès restreint à la nationalité, comme l’Allemagne et l’Italie.

Puisque l’argument consistant à vanter l’accès ouvert à la nationalité en France ne pouvait plus être utilisé ces dernières années, certains ont brandi le risque de communautarisme. Les travaux effectués dans les pays qui ont mis en œuvre la citoyenneté locale des étrangers montrent, avec l’exemple belge, mais aussi néerlandais, danois ou suédois, que la crainte d’un vote dit «communautaire» ne s’est vérifiée nulle part, pas plus que l’éventuelle pression des pays d’origine sur le vote de leurs ressortissants. Le droit de vote n’a pas entraîné de grands bouleversements politiques, mais les partis politiques qui considèrent que les étrangers sont un électorat à gagner s’y sont davantage intéressés. Le droit de vote local et l’éligibilité sont d’ailleurs inscrits à l’agenda des mesures d’inclusion des étrangers définies par les institutions européennes comme pratiques à étendre dans chacun des pays de l’Union. En France, la frilosité manifestée à l’égard de la citoyenneté locale des étrangers s’inscrirait-elle dans la faible volonté de mettre en œuvre tous les instruments d’intégration préconisés par l’Europe ? La citoyenneté locale des étrangers reste-t-elle une utopie ? Soixante-cinq pays du monde sur 193 accordent le droit de vote aux étrangers.


Catherine WIHTOL DE WENDEN Chercheure en sciences politiques (CNRS, Ceri)

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