ALGERIE. Madjid Benchikh : « Ni Bouteflika, ni Gaïd Salah, ni Mediène ne sont la solution pour sortir du blocage du système»
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Tewfik Allal
on Mar 09, 2014 10:59 AM
Pour information, cette interview de Madjid Benchikh, ancien doyen de la Faculté de droit d'Alger, membre du Cercle Nedjma.
Ainsi que la déclaration de ce Cercle (constitué, entre autres, de Ahmed Dahmani, Mohammed Harbi, Aïssa Kadri...), à propos de la situation actuelle : "Pour une refondation de la république algérienne : encore et toujours..."
Deux textes intéressants qui méritent une suite...
Bonne lecture,
Tewfik Allal
http://www.elwatan.com//actualite/madjid-benchikh-ni-bouteflika-ni-gaid-salah-ni-mediene-ne-sont-la-solution-pour-sortir-du-blocage-du-systeme-08-03-2014-248386_109.php
Madjid Benchikh : «Ni Bouteflika, ni Gaïd Salah, ni Mediène ne sont la solution pour sortir du blocage du système»
le 08.03.14 | 10h00 5 réactions
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Madjid Benchikh est Professeur Emérite, ancien doyen de la faculté de droit dAlger.
-Transition politique, un concept politique qui fait son chemin
.
Pour parler dune transition politique, il faut bien observer le système politique dont on demande la transformation. Le système politique algérien est un système autoritaire dans lequel le commandement militaire occupe une place centrale. Le DRS, qui est un département de larmée, est à la fois lil et laiguillon du système.
Le DRS est dabord lil du système parce quil permet aux décideurs de surveiller et de voir tout ce qui se passe sur les scènes politique, économique et sociale. Sans le DRS, les dirigeants de ce système autoritaire, où tout est verrouillé, nont pas de vision ni même de visibilité sur ce qui se passe dans le pays. Sur la base de ses rapports, les institutions peuvent sadonner à la répression et à lassèchement des scènes politiques et associatives. Le DRS joue donc de ce point de vue le rôle dune police politique. Tout analyste, tout citoyen doit savoir quil ny a pas de transition politique et, surtout, pas de transition politique démocratique lorsquexiste une police politique. Cest une loi universelle. Cest dailleurs pour cela que tous les systèmes autoritaires nient lexistence dune police politique, alors même quelle est au cur du système.
Le DRS est aussi laiguillon du système parce quil est lauteur des analyses politiques argumentées et appuyées sur son observation des scènes quil pénètre. Chacun se souvient de largument de Chadli Bendjedid selon lequel les décideurs se sont fiés aux analyses de ces services pour penser que le FIS ne gagnerait pas les élections législatives de décembre 1991. Le DRS est aussi laiguillon parce quil a plus quun droit de regard sur les nominations des grands responsables des institutions : il en vient ainsi à placer aux postes de responsabilité des cadres qui deviennent ses obligés. Mais dans ce système, le chef du DRS nest pas le chef du système. Ni Merbah, ni Lakhal Ayat, ni Betchine nont pu conquérir le pouvoir suprême. Médiène ne le pourra pas non plus. Pour durer à ce poste, il faut continuer à avoir le soutien dun bon nombre de membres du commandement militaire.
Dans ce système, le chef est choisi par le commandement militaire. Cest le chef de lEtat qui, une fois choisi, est élu et devient le chef de la façade institutionnelle, véritable cheville ouvrière au service du système. Il devient aussi le passage obligé du processus de formation des décisions. Lorsque le chef de lEtat connaît le système et gouverne durablement, il peut faire bouger les lignes par exemple en favorisant les clivages et les divisions et en jouant des divergences entre les décideurs. Plusieurs membres du commandement militaire peuvent se retrouver ainsi isolés, augmentant du même coup le poids du chef de lEtat. On se retrouve alors dans la crise actuelle de lexercice du pouvoir en Algérie.
Le chef de lEtat, de surcroît diminué par la maladie, ne peut rien sans le commandement militaire, mais celui-ci ne trouve pas en son sein les capacités pour élaborer des politiques nouvelles et des réformes pour organiser le changement, encore moins une transition démocratique. Cest une crise grave du système lui-même qui, par ses blocages répétés, met en péril le pays.
Contrairement à dautres, je pense que ce système ne peut pas être réformé de lintérieur. Il ne faut pas oublier que les crises du système ont été parfois très violentes, comme en 1965, 1967, 1988, 1992
Il ne faut pas oublier que les crises au sein dun tel système risquent de conduire à des manipulations qui peuvent impliquer des populations. Ce système peut conduire alors à laventure
Il ne faut pas enfin oublier quil ny a pas dhomme dEtat avec une grande vision politique dans le commandement militaire, y compris le chef de lEtat.
Dans ces conditions, on comprend que puisque les décideurs ne peuvent, ni ne savent décider dune transition démocratique, il ny a dautre issue que de la leur imposer. On comprend pourquoi, il convient danalyser les traits fondamentaux du système avant de parler de sa transformation.
-Comment imposer les transformations ?
Cest la question cruciale. Il ne sagit pas de mener le peuple à labattoir et il faut tenir compte de lexpérience algérienne et des nombreuses victimes que lon a déplorées lors de certaines manifestations populaires dans lhistoire de notre pays. Si le peuple veut plus de liberté, plus de justice sociale, des investissements qui répondent à ses aspirations, une justice indépendante et une presse libre, une lutte effective et déterminée contre la corruption, alors il doit sorganiser pour les exiger dans des manifestations pacifiques. On ne peut pas préconiser un tel changement du système en appelant larmée pour le réaliser ou en pensant que sans larmée, rien ne peut se faire. Je dis quil faut tenir compte de la place centrale de larmée pour agir, mais que cest une grave erreur de sen remettre à elle pour réaliser le changement. De surcroît, dans ce système, il est hors de question de négocier avec des gens qui ne représentent pas une force capable de simposer sur le terrain.
-Alors que faire ?
Il faut créer un autre rapport de forces dans la société. Une transition démocratique ne peut être enclenchée que si des organisations de citoyens, associations, partis, syndicats, forum, comités se multiplient dans les campagnes et dans les villes et créent un rapport de forces qui fera bouger les lignes dans larmée et dans le commandement militaire. Voyez comment certaines armées ont été amenées à changer leurs chefs. Mais il faut des organisations et des comités qui arrivent à obtenir ladhésion des populations. Il faut résister dans la durée à la répression et à la manipulation. Devant une telle mobilisation, larmée ne peut pas constituer un bloc uniforme, insensible à ce qui se passe au sein du peuple. Sans ce nouveau rapport de forces, le changement ne peut toucher que des personnels que lon livrera à la vindicte populaire. On opère alors des alternances de personnels qui, comme dit Thomas de Lampedusa dans une réplique popularisée par le film Le Guépard : «Il faut bien accepter que quelque chose change pour que tout reste comme avant.» En fait, il faut arriver à mobiliser des milliers de personnes dans la durée avec un encadrement issu des organisations et autres comités promoteurs, initiateurs et défenseurs de la transition démocratique
-Serait-ce alors la fin du système ?
Tout dépendra du rapport de forces, des capacités des forces nouvelles et des nouvelles élites qui ne manqueront pas démerger, y compris au sein de larmée. Ce qui est sûr cest que le système ne sait même plus bricoler une façade, si on ne le lui impose pas
Pour linstant, il ne faut pas vivre dillusions. La transition ne soctroie pas. Voyez ce qui sest passé en octobre 1988, parce que les manifestations dOctobre ne répondaient pas aux qualités dorganisation, de détermination et de durée que nous avons évoquées plus haut pour arracher des droits. Cest quune fois arrachés, les droits nécessitent dêtre défendus contre des forces dont ils remettent en cause les intérêts et les privilèges. La lutte ne sarrête pas au lendemain de la chute de quelques dirigeants du système répressif.
-La stabilité est le maître mot des partisans du 4e mandat
Tous les candidats au renouvellement de leur mandat, dans tous les pays, invoquent largument de la stabilité parce que les citoyens y aspirent. Mais il y a des stabilités qui sont dangereuses lorsquelles résultent de crises que les dirigeants sont impuissants à régler. En Algérie, on vient de lexpliquer, le système politique est bloqué. Cette forme de stabilité mène le pays droit dans le mur. Dautant que le candidat est partie prenante dans le blocage. Ni Bouteflika, chef de lEtat, ni Gaïd Salah, chef détat-major, ni Mediène, chef du DRS, ne peuvent constituer la solution pour sortir du blocage du système. La victoire de lun ou de plusieurs dentre eux ne fait que changer le rapport des forces au sein dun système, incapable de formuler des politiques de réformes, de liberté et de développement.
Jusquici, le commandement militaire a toujours su trouver en son sein des compromis pour faire survivre son pouvoir. Mais ce que lon appelle le consensus seffondre au cours de périodes de plus en plus courtes. A défaut de démocratiser les institutions dès 1999, ce qui nétait pas son projet, Bouteflika aurait pu engager la modernisation du pays, rationaliser le travail des institutions, il en a été incapable faute de vision, de sens de lEtat et
faute de consensus au sein du système. Sil y parvient encore, ce sera au prix dun blocage qui rapprochera le pays dexplosions dont on ne peut mesurer, aujourdhui, les dégâts pour le pays. Dans ce sens, on peut parler de système finissant
-La solution au déblocage de la situation réside-t-elle dans le retrait de la candidature ce Bouteflika ?
Toutes mes explications précédentes permettent de répondre que la candidature de Bouteflika nest quune goutte deau qui fait déborder le vase parce quil est malade et quil est clair pour une large partie des populations quil ne peut pas assumer les charges de chef de lEtat. Cette candidature ne permet pas un contact direct avec le peuple. Or, cest est une exigence de lélection présidentielle au suffrage universel. Il en résulte une violation de lesprit de la Constitution. Mais en Algérie, la Constitution nest quune façade. Il faut changer le système pour changer cette pratique de la politique. Aux termes de la Constitution, la police politique nexiste pas, pourtant personne aujourdhui ne nie son rôle majeur dans la réalité. Il y a quelques années, Aït Ahmed était lun des rares hommes politiques à demander clairement sa dissolution. Quelques rares universitaires demandent également sa dissolution (voir par exemple la dernière déclaration du cercle Nedjma). Il y a plus de dix ans que jai conclu à labsolue nécessité de la dissolution de la police politique pour avancer vers une transition démocratique, dans mon livre Algérie un système politique militarisé, éditions lHarmattan 2003. Paris.
-Des personnalités avancent que larticle 88 de la Constitution na pas été respecté. Lexplication du blocage serait-elle dordre juridique ?
Il ny a pas de doute que le Conseil constitutionnel aurait dû se réunir de plein droit conformément à larticle 88. Mais cela est un vu pieux dans le cadre du système politique tel que je lai décrit. Lerreur serait danalyser les dispositions constitutionnelles indépendamment du système dans lequel elles sinscrivent et sappliquent ou ne sappliquent pas.
Pourquoi alors ne pas parler du fait que la Constitution impose le respect des droits humains, la séparation des pouvoirs et lindépendance de la justice, la liberté dassociation, la liberté de la presse et des élections libres. Les règles essentielles de la Constitution ont toujours été violées avec ou sans Bouteflika. Il en sera ainsi tant quil ny a pas de forces sociales et politiques capables d imposer le respect. Je suis daccord avec ceux qui soutiennent que les élections dans ce système ne règlent pas les problèmes du peuple : en fait les élections sont des indicateurs des rapports de force au sein du système, rien de plus. Cest une affaire entre cercles dirigeants et leurs clientèles respectives.
-Une mobilisation citoyenne pacifique peine à prendre forme
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Il y a de nombreuses voix qui sélèvent depuis longtemps contre le système autoritaire et ses dérives. Mais la protestation populaire ne parvient pas à se faire entendre. Chacun peut constater quun rassemblement de 1000 ou 2000 personnes ne «fait pas suffisamment peuple» pour imposer sa voix devant les déploiements des forces de la répression. Il y a bien sûr lefficacité de lappareil répressif. Mais il y a dautres raisons qui expliquent plus profondément la faiblesse des rassemblements. La première raison tient au travail de la police politique sur une longue durée. La surveillance des activités politiques, associatives et syndicales, la manipulation des scènes politiques et sociales finissent par déchiqueter le tissu social, rendent difficile lorganisation des solidarités. La monopolisation du pouvoir pendant plus de 50 ans et le partage de la rente pétrolière entre des clientèles contribuent au discrédit de lidée démocratique. Tout cela fait croire que les combats pour la citoyenneté et les libertés démocratiques sont vains.
Il faut aussi prendre en compte les qualités représentatives de ceux qui appellent au rassemblement. Quelquun qui a appuyé des politiques répressives peut difficilement aller vers le peuple pour le mobiliser contre larbitraire. Les «gens» se méfient. Il y a une sorte de mémoire populaire. De surcroît, il faut examiner dans quelle mesure les tentatives de rassemblement sadressent vraiment aux catégories populaires. Cest pourquoi il faut aller dans les quartiers populaires, dans les lieux de travail, dans les villes et dans les villages. Cest un travail de longue haleine. Il ne suffit pas de faire un appel lors dune campagne électorale. Il est indispensable dallier le travail sur le terrain et celui de réflexion, tenir compte de nos échecs, analyser le terrain, multiplier les débats sur le terrain pour dégager des plateformes pour agir avec des gens qui partagent ces projets.
La multiplication des associations, des collectifs et des comités pour les libertés démocratiques, pour la séparation des pouvoirs, lindépendance de la justice, la création dune commission denquête indépendante contre la corruption, la création dune commission indépendante de contrôle des médias publics doivent être partout encouragées, partout où cela est possible, avant et après les élections. Ce travail est indispensable pour dépasser les peurs, prendre conscience de sa force, sengager pour des combats qui «parlent» aux gens et répondent à leurs revendications sans verser dans le populisme et la violence. Il conviendra évidemment de faire leffort pour organiser des passerelles entre les diverses associations et tenter des coordinations pour constituer des forces capables de résister à la répression et dégager des stratégies susceptibles de déboucher sur une transition démocratiques viable.
-Un mouvement citoyen pacifique et autonome qui rejette le 4e mandat et milite pour linstauration dun véritable régime démocratique, dénommé Barakat vient de voir le jour. Serait-ce lannonce dune fêlure de la forteresse, de ce sursaut républicain pacifique ? Comment laccompagner pour lancrer dans la durée ?
La naissance de Barakat est une bonne nouvelle. Mon souhait est que Barakat fasse connaître ses revendications démocratiques au-delà du 4e mandat, partout dans les villes et les villages. Jai répondu aux questions de programme et de modalités daction dans la question précédente. Par exemple, Barakat pourrait impulser la création dautres associations sur la base dengagement sur un programme minimal tel que celui que jai esquissé précédemment. Je veux dire quil ne faut pas craindre la multiplication et le développement des collectifs et des mouvements dès lors quils acceptent une plateforme minimale commune. On ne peut pas dire pour autant que cette initiative annonce une fêlure de la forteresse. Le système sera affaibli, si linitiative de Barakat se développe et si dautres initiatives de même type se multiplient avec de plus en plus de précisions et de force. Barakat voit juste en prônant le boycott, parce que cette élection, dans ces conditions, met le pays en danger. Mais encore une fois, le boycott ne suffit pas. Il faut à partir de la mobilisation pour le boycott élargir les luttes pour créer un rapport de forces favorable au changement démocratique.
-Où situez-vous lurgence et la priorité ?
Dégager des priorités et à plus forte raison une priorité na dintérêt que si on a aussi établi un plan densemble. Il faut donc introduire ou intégrer les priorités dans le plan densemble. Concrètement, il faut lutter en même temps contre le 4e mandat et pour une transition démocratique. Il faut revendiquer en même temps, de façon déterminée et claire, la dissolution du DRS dans ses activités de police politique, lorganisation délections libres et honnêtes, louverture du champ associatif, la formation de commissions denquêtes indépendantes sur la corruption et lasservissement de la justice.
Nadjia Bouzeghrane