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Sahara : la Tunisie face à la rivalitéalgéro-marocaine

from Mouhieddine Cherbib on Mar 10, 2017 05:15 PM
http://orientxxi.info/magazine/sahara-la-tunisie-face-a-la-rivalite-algero-marocaine,1746
Sahara : la Tunisie face à la rivalité algéro-marocaine

ORIENT XXI <http://orientxxi.info/> > MAGAZINE
<http://orientxxi.info/magazine/> > AKRAM BELKAID
<http://orientxxi.info/auteur/akram-belkaid> > 9 MARS 2017

Craignant de se fâcher avec son voisin algérien ou de provoquer une crise
avec le Maroc, la Tunisie maintient une « neutralité positive » sur la
question du Sahara occidental. Ce sujet oppose Alger et Rabat depuis le
milieu des années 1970 et constitue l’un des principaux facteurs de blocage
du regroupement régional symbolisé par l’Union du Maghreb arabe.

Tunis, mars 2015. Sahraouis dans la marche du Forum social mondial.O.

*«** Une neutralité positive** »* : c’est par cette expression que les
diplomates tunisiens résument la position permanente de leur pays vis-à-vis
du différend qui oppose l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental
<http://orientxxi.info/dossiers/quarante-ans-de-conflit-au-sahara-occidental,0880>.
Une position souvent inconfortable dans la mesure où les deux voisins et «
frères » sont tentés de temps à autre de revendiquer le soutien et
l’implication de la Tunisie à propos d’une question qui empoisonne les
relations maghrébines depuis le milieu des années 1970. De fait, le statut
et l’avenir du Sahara constituent l’un des principaux facteurs de blocage
du processus de regroupement régional symbolisé par l’Union du Maghreb
arabe (UMA). Une institution née en 1989 — qui concerne aussi la Libye et
la Mauritanie —, mais qui demeure une coquille vide du fait de la vigueur de
 la rivalité algéro-marocaine
<http://orientxxi.info/magazine/pourquoi-l-algerie-defend-le-statu-quo-au-sahara-occidental,0884>
.

*«** Habib Bourguiba, alors président de la Tunisie, a vu venir le problème
du Sahara dès le début des années 1970,* raconte sous couvert d’anonymat à
*Orient XXI* un officiel tunisien encore aux affaires et qui à l’époque
débutait sa carrière de diplomate. *Nous savions que le désengagement
unilatéral de l’Espagne
<http://orientxxi.info/magazine/difficile-equilibre-de-la-politique-espagnole-au-sahara-occidental,0878>
de
ce territoire allait créer une situation de grave tension entre l’Algérie
et le Maroc. Bourguiba a essayé de prendre les devants en évoquant le sujet
avec Houari Boumediene pour le convaincre d’accepter que le Maroc récupère
le Sahara. En vain. Dès lors, il fallait que la Tunisie soit le moins
pénalisée par cette affaire.** »*
UNE OSTENSIBLE NEUTRALITÉ

En 1976, alors que l’Algérie et le Maroc se sont brièvement opposés par les
armes, Tunis annonce officiellement sa neutralité et propose ses bons
offices pour un règlement pacifique de la question sahraouie sous l’égide
des Nations unies et de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Des
émissaires sont envoyés à Alger et Rabat, mais sans grand résultat. Il
n’empêche, en multipliant de telles initiatives conciliatrices, Tunis
adopte une stratégie maintes fois éprouvée dans les affaires interarabes :
se poser en réconciliateur, ce qui fait admettre l’idée de la neutralité à
chacun des belligérants.

Car, à l’époque, la Tunisie fait face à de sérieux problèmes. L’annulation
de l’Union tuniso-libyenne contractée en 1974 expose le pays à la colère et
aux représailles, notamment économiques, du « Guide » libyen Mouammar
Kadhafi. Les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays
(elles ne seront rétablies qu’en 1977), et les services secrets tunisiens
s’inquiètent de l’activisme libyen auprès des populations du sud du pays.
Il n’est donc pas question de se fâcher avec le voisin algérien ou de
provoquer une crise avec Rabat. De plus, Tunis ne souhaite pas rééditer
l’épisode de la reconnaissance de la Mauritanie en 1960, quand la Tunisie
était allée jusqu’à parrainer la candidature mauritanienne d’adhésion à l’
ONU ; une reconnaissance qui, à l’époque, avait déclenché la colère du
Maroc, lequel revendiquait une souveraineté sur « cette province ». La
rupture entre Tunis et Rabat durera jusqu’en 1965, et ce n’est qu’en 1969
que le Maroc reconnaîtra de manière définitive la Mauritanie.

Concernant cette période, la majorité des récits recueillis auprès de
diplomates tunisiens alors en exercice traduisent deux faits principaux. Le
premier est que, dans le fond, Tunis aurait préféré une solution rapide
avec une intégration du Sahara au Maroc, quitte à ce que les populations
sahraouies bénéficient d’un statut spécial. Mais cet avis ne conditionnera
jamais la position officielle tunisienne qui s’en tient donc à une
neutralité totale, avec pour conséquence le fait que le gouvernement
tunisien ne reconnaît pas le Front Polisario
<http://orientxxi.info/magazine/sahara-occidental-les-dessous-d-un-camouflet-pour-le-maroc,1140>.
Une telle reconnaissance aurait été perçue comme un acte hostile par les
Marocains.

De même — et c’est une constante dans les relations tuniso-marocaines —,
les officiels tunisiens ont toujours évité de se rendre dans le territoire
contesté. En février 2016, le premier ministre Habib Essid annule ainsi un
déplacement au Maroc pour ne pas être présent à une conférence organisée
dans la ville de Dakhla. Quelques semaines plus tard, le même Essid
déclenchera les foudres du Palais pour avoir utilisé l’expression « Sahara
occidental » lors d’une conférence de presse à Tunis. Pour mémoire, la
partie marocaine parle de « Sahara marocain » et ne peut admettre que l’on
évoque le « Sahara » tout court. L’usage de l’expression « Sahara occidental
 » est vue comme une remise en cause implicite de la souveraineté marocaine
sur cette terre.
LES RÉVÉLATIONS DE WIKILEAKS

Le second élément qui ressort de divers témoignages est que la volonté
algérienne d’impliquer les Tunisiens à leurs côtés s’est distendue avec le
temps. Si, dans un premier temps, Houari Boumediene ne pardonne pas à Habib
Bourguiba de ne pas prendre parti pour le Polisario, ses successeurs seront
plus pragmatiques. Tout au long des années 1980 et 1990, ils feront la part
des choses et agiront avec plus de discernement. En 1993, quand l’Algérie
et la Tunisie négocient le bornage définitif de leurs frontières, les
multiples concessions territoriales consenties par Alger ne se doublent
d’aucune exigence concernant la position tunisienne vis-à-vis du Sahara.

Pour l’Algérie, la situation sera acceptable tant que Tunis maintiendra sa «
 neutralité positive. » Même le rapprochement récent entre les deux pays en
raison de la lutte commune contre les groupes armés
<http://orientxxi.info/magazine/le-conflit-du-sahara-en-marge-des-dynamiques-regionales,0879>
 qui sévissent dans les zones frontalières n’a pas modifié la situation,
ainsi que le confie à *Orient XXI* un ministre tunisien de l’actuel
gouvernement qui a requis l’anonymat. *«** Les Algériens n’ont pas cherché
à nous obliger à changer de position et c’est tant mieux, car cela nous
aurait mis dans une position très inconfortable. La Tunisie a besoin du
soutien algérien dans sa lutte contre le terrorisme. Nous ne pouvons pas
non plus nous mettre à dos les Marocains qui sont de plus en plus présents
chez nous sur le plan économique.** »*

Côté algérien, on admet un certain réalisme teinté de résignation quant à
l’impossibilité de changer la donne. En 2010, la diffusion par Wikileaks de
câbles diplomatiques américains a confirmé, si besoin était, la réticence
tunisienne à l’égard de la position algérienne vis-à-vis du Sahara. Le
28 février 2008, le président Zine El-Abidine Ben Ali reçoit David Welch,
sous-secrétaire d’État américain en charge du Proche-Orient et de l’Afrique
du Nord. Dans une missive datée du 3 mars et adressée à Washington, ce
dernier raconte que le dirigeant tunisien fait porter l’entière
responsabilité du blocage du processus d’intégration maghrébine au pouvoir
algérien incapable, selon lui, de se résoudre à l’idée qu’il ne puisse
exister d’État indépendant au Sahara. Ben Ali racontera aussi avoir tenté
de mettre sur pied un sommet régional sur cette question, mais que la
partie algérienne aurait décliné l’invitation, estimant qu’il n’y avait
rien à dire sur ce sujet.
ÉVITER LA QUESTION QUI FÂCHE

De manière régulière, la Tunisie est néanmoins accusée de prendre parti
pour l’un ou l’autre des protagonistes. Pour autant, la position officielle
de stricte neutralité tend à être revendiquée par l’ensemble des forces
politiques tunisiennes, gauche comprise. Certes, cette dernière, mue par un
engagement anti-impérialiste, ne s’interdit pas d’avoir des contacts avec
le Polisario et même d’organiser des actions de solidarité en faveur des
populations sahraouies, quitte à en faire parfois les frais. En mars 2015,
le Forum social mondial organisé à Tunis a ainsi été perturbé par des
affrontements entre délégués algériens et marocains à propos du Sahara.
Violences verbales, bagarres, chaises cassées... Les représentants «
gouvernementaux » algériens et marocains — ainsi nommés par des militants
indépendants plutôt enclins au dialogue — ont forcé leurs homologues
tunisiens à prendre parti.

Depuis cette date, les représentants de la société civile tunisienne ont
retenu la leçon. Leur pays, où la parole et l’initiative se sont libérées,
est devenu le lieu idéal pour l’organisation de colloques et conférences en
tous genres, notamment maghrébins. Un dynamisme qui exige néanmoins une
précaution majeure : convaincre les participants algériens et marocains
d’éviter d’aborder la question qui fâche…


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Cherbib Mouhieddine
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