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Dublin et Schengen : regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenne.

from francoise carrasse on Jun 02, 2017 01:08 PM
A lire pour voir dans quelle direction l'Europe veut nous emmener ... Plus facile à lire dans le fichier joint.
http://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-434-fr.pdf 

POLICYPAPERFONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 2017POLICYPAPERRésumé : Le règlement Dublin, actuellement en cours de refonte, vise à préserver l’espace de librecirculation, plutôt qu’à répartir les demandeurs d’asile entre Etats membres. La crise migratoirede 2015 a montré que ce système pouvait contribuer à mettre en danger l’espace Schengen,alimenter une crise de confiance entre les Etats membres, et pousser l’Union européenne versdes coopérations avec des pays tiers incertaines et risquées pour ses valeurs. Si un meilleurcontrôle des frontières apparaît actuellement nécessaire, il ne permettra pas cependant d’éluderla question d’un saut qualitatif dans la solidarité migratoire européenne.Question d’Europen°43415 mai 2017 Dublin et Schengen : Regagner laconfiance et renforcer la solidaritéentre les Etats membres de l’UnioneuropéenneCorinne Balleix11. Les opinions exprimées danscet article n’engagent que sonauteur.2. Article 80 du TFUE : « Lespolitiques de l’Union viséesau présent chapitre et leurmise en oeuvre sont régiespar le principe de solidaritéet de partage équitable deresponsabilités entre les Étatsmembres, y compris sur leplan financier. Chaque fois quecela est nécessaire, les actesde l’Union adoptés en vertu duprésent chapitre contiennentdes mesures appropriées pourl’application de ce principe. »Les Européens s’interrogent actuellement sur larévision du règlement Dublin (604/2013 du 26 juin2013) visant à désigner l’Etat membre responsablede l’examen d’une demande d’asile, et surl’opportunité d’en faire un instrument de « solidaritéet de partage équitable des responsabilités entre lesEtats membres », conformément aux dispositionsde l’article 80 du TFUE2. Pourtant, la logique de cerèglement a toujours été la préservation de l’espacede libre circulation, plutôt que celle de la répartitiondes demandeurs d’asile entre Etats membres, lasolidarité migratoire prenant d’autres formes. Lacrise migratoire de 2015 a cependant montré quece système pouvait devenir contreproductif etcontribuer à mettre en danger l’espace de librecirculation ; il est en outre au coeur d’une crisede confiance majeure entre les Etats membres, quirecherchent dès lors des solutions à la questionmigratoire dans le renforcement de coopérations– incertaines - avec des pays tiers, et dans uncontrôle accru des frontières. Ces approches nepermettront pas cependant d’éluder la questiond’un saut qualitatif dans la solidarité migratoireeuropéenne.I. LE SYSTÈME DUBLIN, CLÉ DE VOUTE DE LASÉCURISATION DE L’ESPACE SCHENGEN1. Depuis la création de l’espace Schengen en1985, l’objectif des Etats qui y participent (26actuellement) est de renforcer leurs frontièresextérieures communes, en contrepartie de lacréation d’un espace de libre circulation.A ces frontières extérieures peuvent se présentertrois sortes de ressortissants de pays tiers : lespersonnes qui ne « font pas d’histoire » et qui sontadmis à pénétrer dans l’espace Schengen, avec ousans visa ; ceux à qui l’accès de cet espace estau contraire refusé, parce qu’ils ne remplissentpas les conditions pour y pénétrer (documents devoyages) ou parce qu’ils constituent une menaceà l’ordre public ou la sécurité intérieure. Resteenfin le cas des demandeurs d’asile, à qui, enapplication du principe de non-refoulement del’article 33 de la convention de Genève, l’accès auterritoire d’un Etat membre ne peut en principeêtre refusé, au moins pour la durée de l’examende leur demande d’asile.FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 20172Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenne1.1 Le principe de responsabilité de l’Etatmembre de première entrée.Inscrit dès la convention de Dublin de 1990 et en débatactuellement, il permet de désigner comme responsable del’examen d’une demande d’asile l’Etat membre qui a permisou n’a pas empêché l’arrivée ou le séjour d’un migrantdemandeur d’asile (art. 12 à 14 du règlement 604/2013).L’objectif de ce règlement n’est pas la répartition solidairedes demandeurs d’asile entre Etats membres mais le bonfonctionnement de l’espace Schengen : tous les demandeursd’asile n’accédant pas à la protection internationale, l’idéeest en effet que c’est aux frontières extérieures de l’Unionque la régulation des flux de migrants doit s’opérer,justement parce que, une fois cette barrière franchie,l’espace européen est en principe un espace de librecirculation des personnes. Rendre les Etats membres situésaux frontières extérieures responsables de l’examen desdemandes d’asile des personnes entrées via leur territoireest censé les inciter à empêcher les entrées irrégulières.Pour garantir le bon fonctionnement de ce système, la based’information EURODAC enregistre les empreintes digitalesdes migrants irréguliers et permet de vérifier s’ils ontdemandé l’asile dans un autre État membre. Quand c’estle cas, les articles 23 à 31 du règlement Dublin prévoientun transfert de la personne vers l’Etat membre de premièreentrée. La bonne application du principe de responsabilitédu pays de première entrée doit donc contribuer à limiterdes « mouvements secondaires » de demandeurs d’asileau sein de l’espace de libre circulation. Arrêter les migrantsaux frontières extérieures de l’Union doit en outre faciliterleur retour vers leur pays d’origine ou un pays de transit, etavoir un effet dissuasif à l’égard des migrants économiquesnon éligibles à l’asile.1.2 La révision du règlement Dublin intervenue en2013Dans cette dernière, le critère de rapprochement familial(art. 8 à 11 et art.16) est présenté comme le critère àprivilégier pour désigner l’Etat membre responsable del’examen d’une demande d’asile. Toutefois, ce critère,qui peut contribuer à l’accroissement des diasporasprésentes dans un même Etat membre, ne constitue pasun instrument de répartition des demandeurs d’asile entreles Etats membres.2. La question d’un partage équitable dansl’accueil des demandeurs d’asile a été posée lorsde la crise migratoire de 20112.1. Considérant que les conditions d’accueildes demandeurs d’asile en Grèce présentaientdes défaillances systémiques assimilables à desmauvais traitements, des décisions de la Coureuropéenne des droits de l’Homme (CEDH) puisde la Cour de justice de l’Union européenne(CJUE) de janvier et décembre 20113 avaientdemandé aux Etats membres de suspendre lestransferts de demandeurs d’asile vers la Grèce,obligeant les Etats membres à partager avec cepays l’accueil des migrants.En outre, lors des printemps arabes de 2011, l’Italie,qui avait vu près de 28 000 personnes arriver surses côtes, avait estimé insuffisante la solidaritéeuropéenne (extension de l’opération de l’AgenceFRONTEX Hermès)4. Elle avait donc décidé le 5 avril2011 d’octroyer des titres de séjour humanitairede 6 mois aux personnes arrivées en Italie avantcette date, ces dernières pouvant ensuite circulerdans l’ensemble de l’espace Schengen. Cet épisodeest à l’origine d’une révision du Code frontièreSchengen (règlement 1051/2013 du 22 octobre2013) permettant la réintroduction de contrôles auxfrontières intérieures en cas de manquements graveset persistants d’un Etat membre mettant en péril lefonctionnement global de l’espace sans contrôle auxfrontières extérieures.Cette crise a également conduit à une révisiondu règlement Dublin permettant la création d’unmécanisme d’alerte rapide qui n’organise cependantpas une répartition solidaire des demandeurs d’asileentre Etats membres : le principe de responsabilitédu pays de première entrée est maintenu ; dans lecas où son système d’asile serait sous pression enraison de flux importants, ce dernier doit adopter desplans d’action préventifs ou de gestion de crise (art.33 du règlement) avec le soutien du Bureau européend’appui en matière d’asile. L’idée est ici d’empêcher lesEtats membres de première entrée de déclarer troprapidement que leur système d’asile est saturé.3. CEDH, 21 janvier 2011,MSS c/Belgique et Grèce, req.30696/09 et CJUE, 21 décembre2011, NS c/Secretary of Statefor the Home Department et ME,ASM, MT, KP et EH c/RefugeeApplications Commissioner etMinister of Justice, Equality andLaw Reform, aff. jointes C-411/10et C-493/10.4. Carrera (Sergio), Guild(Elspeth), Merlin (Massimo),Parkin (Joanna), “Race againstSolidarity. The SchengenRegime and the Franco-ItalianAffair”, CEPS Paper in Libertyand Security in Europe, April2011. Malmström (Cecilia),“Immigration flows – Tunisiasituation”, Strasbourg, 15February 2011, Speech 11/106.3FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 2017Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenne2.2. Les mécanismes de solidarité européenneexistant avant 2015 visent surtout à renforcerles capacités des pays de première entrée à faireface à des afflux de migrants.La directive sur la protection temporaire (2001/55)adoptée en juillet 2001 après la guerre du Kosovodevrait permettre de répartir entre Etats membres,sur une base volontaire, l’accueil des « personnesdéplacées » (art. 26), catégorie très large susceptibled’inclure des personnes non admissibles à l’asile.Nécessitant pour être déclenchée une majoritéqualifiée au sein du Conseil, cette directive n’a jamaisété activée. De même, des programmes européensde relocalisation ne concernant que des personnesbénéficiaires d’une protection internationale ontpermis, de 2009 à 2013, de relocaliser un peu plus de400 personnes5.La solidarité est cependant financière. Le Fonds « Asile,migration et intégration» (FAMI), d’un montant globalde 3,137 milliards € pour la période 2014-2020, viseà aider les Etats membres à renforcer leur systèmed’asile. De même, le Fonds européen de sécuritéintérieure (FSI) est doté d’un volet « gestion desfrontières extérieures et politique commune de visa »de 2,76 milliards € pour aider les Etats membres danscette tâche. Pour la période 2014-2020, la Grèce reçoit509 millions € d’aide, et l’Italie 592,6 millions pourprotéger leurs frontières extérieures et renforcer leursystème d’asile.Avant 2015, la solidarité européenne passe par dessoutiens opérationnels aux Etats membres de la partde l’agence FRONTEX, pour le contrôle des frontièreset du Bureau européen d’appui en matière d’asile.A la demande des Etats membres rencontrant desdifficultés, les deux agences sont en effet susceptiblesde mobiliser des experts et des équipements pour lesaider à distinguer sur place les migrants économiquesdes réfugiés, et organiser le retour des migrants nonéligibles à l’asile. Il faut cependant noter que les Etatsmembres n’apprécient guère qu’un acteur extérieurinterfère dans la manière dont ils traitent des sujetsaussi sensibles pour la souveraineté ou la politiquemigratoire.II. LA CRISE MIGRATOIRE DE 2015 A MISEN ÉVIDENCE QUE L’INSUFFISANCE DESMÉCANISMES DE SOLIDARITÉ MIGRATOIREPOUVAIT CONTRIBUER À MENACER LEFONCTIONNEMENT DE L’ESPACE SCHENGEN,L’ESPRIT DE SOLIDARITÉ ENTRE ETATSMEMBRES ET LES VALEURS DE L’UNIONEn 2015, dans un contexte d’aggravation des crisespolitiques et économiques dans le voisinage sud del’Union (conflit en Syrie, s’étendant progressivementà l’Irak, décomposition de la Libye), près d’un millionde personnes sont arrivées en Europe, dont 154 000via la Méditerranée centrale et surtout 885 000en Grèce via la Méditerranée orientale. L’Italien’a cependant enregistré en 2015 « que » 83 000demandes d’asile, et la Grèce 11 370 ! En revanche,l’Allemagne a enregistré 441 800 nouvelles demandesd’asile, soit 35% du total de l’Union, la Hongrie 174400 (14%), la Suède 156 100 (12%), l’Autriche85 500 (7%) et la France 70 600 (6%)6.1. Le principe de responsabilité de l’Etat depremière entrée a été singulièrement peuappliqué.Comme en d’autres occasions par le passé, faute demoyens matériels, et tant qu’elles ont pu, l’Italie etla Grèce, qui contestent profondément le principede responsabilité de l’Etat de première entrée, ontenregistré le moins possible les arrivants dans lesystème EURODAC, et ont maintenu des systèmesd’accueil ouverts, laissant les migrants poursuivreleur chemin. La Grèce a attendu une menace deréintroduction des contrôles aux frontières intérieuresde l’espace Schengen en décembre 20157 pour solliciterdes équipes d’intervention rapide de FRONTEX8. Ce nonrespectdes règles communes est apparu à l’Italie et laGrèce comme le moyen le plus efficace pour imposer àleurs partenaires européens une répartition de l’accueildes migrants.La spécificité des frontières maritimes extérieurescontribue aussi à expliquer la tentation grecque etitalienne d’échapper aux règles du système Dublin/EURODAC. En effet, les garde-côtes disent souvent5. European Asylum SupportOffice, Annual Report 2013,July 2014.6. Eurostats, « Nombre recordde plus de 1,2 million primodemandeurs d’asile enregistrésen 2015 », Communiqué depresse, N° 44/2016 - 4 mars2016.7. « Migrants : l’Europe menaced’exclure la Grèce de l’espaceSchengen », Le Monde, 2décembre 2015.8. http://frontex.europa.eu/news/frontex-accepts-greeces-request-for-rapid-borderintervention-teams-amcPjCFONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 20174Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenne« qu’en mer, on ne fait pas de surveillance des frontières,on ne peut faire que du secours » : l’opération Triton del’Agence FRONTEX lancée en novembre 2014 a d’abord eupour objectif unique de surveiller les frontières, à proximitédes côtes italiennes. Cependant, après la disparition enmer de près de 1 200 migrants en avril 2015, ses moyensont été triplés, sa zone d’intervention a été étendue et elleest devenue une opération essentiellement tournée vers lesauvetage en mer des migrants. Il en a été de même del’opération Poséidon, en Méditerranée orientale, les deuxayant permis de sauver 250 000 vies en 20159. Or, unefois secourues dans les eaux territoriales (ou contigües)grecques et italiennes, ou bien en haute mer, la plupartdes personnes doivent être débarquées en Italie ou enGrèce, en tant que « lieux sûrs », en particulier si ellessollicitent l’asile. Cela résulte de l’application du principede non-refoulement de la convention de Genève, reprisnotamment dans l’article 4 du règlement 656/2014 du 15mai 2014 régulant les opérations maritimes de FRONTEX.Par conséquent, plus l’afflux de migrants était important,plus la Grèce et l’Italie pouvaient trouver un intérêt àne pas respecter les dispositions du système Dublin/EURODAC. Parallèlement, le fait que les migrants puissentavoir connaissance des possibilités de poursuivre leur routevers le nord de l’Europe a également pu attiser les flux. Uncercle vicieux s’est donc enclenché d’augmentation desflux et de non-respect des dispositions des règlementsDublin et EURODAC.9. European Commission,Communication on the Stateof Play of Implementationof the Priority Actions underthe European Agenda onMigration, COM(2016) 85 final,10.02.2016.Source : FRONTEX, Annual risk analysis, 2016.2. La conséquence de ces dysfonctionnementsa été d’abord une double mise en danger del’espace Schengen2.1. La première mise en danger a étésécuritaire.Les frontières ne sont pas seulement des obstaclesaux échanges humains ; elles constituent aussi uneprotection contre des menaces pour l’ordre publicet la sécurité intérieure. C’est à l’abri des frontièreseuropéennes que les réfugiés cherchent une protection.L’insuffisance des contrôles en Grèce et en Italie a permisà quelques combattants djihadistes (non-européens oueuropéens) de pénétrer dans l’espace Schengen et d’ycommettre des attentats. Il n’en fallait pas plus pour quefleurissent dans les discours populistes des amalgamesinfondés statistiquement entre migrants et terroristes.5FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 2017Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenne2.2. En réaction, l’espace de libre circulation aété restreintLes règles du code frontières Schengen permettant laréintroduction de contrôles aux frontières intérieures(art. 25 et 29 en particulier) ont été activées,quel qu’en soit les difficultés pratiques et les coûtséconomiques. Ainsi, la France maintient des contrôlesà ses frontières pour un motif d’ordre public et desécurité intérieure imprévisibles dans le contexte del’état d’urgence consécutif aux attentats terroristes ;l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, le Danemark et laNorvège maintiennent des contrôles pour faire faceaux flux migratoires encore insuffisamment contrôlésen provenance de Grèce10. En outre, la Commissioneuropéenne réfléchit à une nouvelle révision duCode frontières Schengen et devrait publier desrecommandations pour faciliter la réintroduction descontrôles aux frontières intérieures, notamment pourun motif d’ordre public ou de sécurité intérieure. Lafermeture, depuis mars 2016, de la route des Balkansoccidentaux11 vise à sécuriser l’accès à l’espaceSchengen.3. La crise migratoire a accru des tensions entreEtats membres autour des principes de solidaritéet de responsabilité, minant la confianceLa politique du « laissez-passer » de l’Italie et dela Grèce a été « en creux » condamnée, l’ensembledes déclarations du Conseil européen de 2015 et2016 appelant à la reprise du contrôle des frontièresextérieures de l’Union. Parallèlement ont fusé desreproches sur le manque de solidarité européenne àl’égard des pays les plus affectés par les flux.3.1. Les difficultés d’adoption et de mise enoeuvre des deux décisions de relocalisationd’urgence de septembre 2015 à partir de laGrèce et de l’Italie en sont une illustration12.Censées permettre de répartir entre les Etatsmembres, sur une période de 2 années un total de160 000 personnes en besoin manifeste de protection,elles n’avaient conduit au 10 avril 2017 à relocaliserque 16 340 personnes, soit un peu plus de 10% dutotal après 19 mois de mise en oeuvre13. Les difficultésdes Etats membres, en période de crise migratoire, àmobiliser des personnels et équipements pour soutenirle fonctionnement des hotspots, où sont distinguésles personnes éligibles à la relocalisation des autrescatégories de migrants, certaines résistances desautorités italiennes et grecques aux interventionseuropéennes dans la conduite de leur politiquemigratoire nationale, et leur tentation continue delaisser filer les migrants hors de leurs frontières,contribuent à expliquer ces résultats.3.2. La proposition de révision du règlementDublin présentée le 4 mai14Elle tente de combiner le principe de responsabilité del’Etat de première entrée avec un mécanisme correcteurde relocalisation se déclenchant automatiquement etse heurte aux mêmes difficultés : ceux qui défendentle principe de responsabilité du pays de premièreentrée s’opposent à un mécanisme de redistributionautomatique, portant sur une catégorie de migrants -les demandeurs d’asile recevables- bien plus large quecelle retenue dans les mécanismes de relocalisationadoptés en 2015 (les personnes en besoin manifeste deprotection) ; car, entre la recevabilité et l’admissibilitéà l’asile, il y a un écart qui peut se révéler coûteuxet vain, si, après avoir financé des relocalisations, ilfaut financer l’éloignement des personnes relocaliséesmais finalement déboutées du droit d’asile. Pour leurpart, les pays de première entrée (Italie, Grèce)jugent insuffisant un système qui, en leur imposantd’examiner la recevabilité de toutes les demandesd’asile, ne va en rien soulager leur système d’asile encas d’afflux importants de migrants.3.3. Pour surmonter les blocages des débats surla révision du règlement DublinLes pays du groupe de Višegrad, puis les présidencesslovaque et maltaise animent des discussions sur lesconcepts de « solidarité flexible », « effective » etles liens entre solidarité et responsabilité en matièred’asile. Des discussions labyrinthiques sur les conditionsde déclenchement (automatique ou politique ?) d’unmécanisme de répartition, la remise en cause ou non du10. Secrétariat général duConseil, Décision d’exécutiondu Conseil arrêtant unerecommandation relative àla prolongation du contrôletemporaire aux frontièresintérieures en cas decirconstances exceptionnellesmettant en péril lefonctionnement global del’espace Schengen, 6020/17, 7février 2017.11. “L’Union européennes’entend pour fermer la routedes Balkans aux migrants », LeFigaro, 6 mars 2016.12. Décision (UE) 2015/1523 duConseil du 14 septembre 2015et Décision (UE) 2015/1601 duConseil du 22 septembre 201513. European Commission,11th report on relocation andresettlement, COM(2017) 212final, 12.04.2017..14. European Commission,COM(2016) 270 final, 4.5.2016.FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 20176Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenneprincipe de responsabilité du pays de première entrée,le caractère obligatoire ou volontaire des contributionsau mécanisme de solidarité, et les formes possiblesprises par la solidarité (relocalisation, contributionsà FRONTEX, EASO, aide au développement, etc.)apparaissent laborieuses.3.4. Les recommandations relatives à une repriseprogressive, à partir du 15 mars 2017, destransferts de demandeurs d’asile vers la Grèce autitre du règlement Dublin15, et à la prolongationdes contrôles aux frontières intérieures del’espace Schengen illustrent l’état d’esprit quirègne entre les Etats membres.Des progrès notables du système d’asile grec peuventcertes être soulignés en termes de capacités d’accueilet de traitement des demandes d’asile. Cependant, desinsuffisances persistantes (engorgement et incapacitéà traiter rapidement les demandes d’asile) sontrelevées dans les rapports sur la mise en oeuvre desdécisions de relocalisation16. La fragilité du systèmed’asile grec a d’ailleurs justifié la création en mars 2016d’un instrument d’aide humanitaire intra-européen,EUROECHO17, dont la Grèce est le premier bénéficiaire.Envisager la reprise de transferts au titre du règlementDublin à partir du 15 mars 2017 témoigne d’unvolontarisme de la Commission européenne, qui se faitle porte-parole de certains Etats, comme l’Allemagne,l’Autriche et la Belgique18, pour que la Grèce assumepleinement sa responsabilité dans le traitement desdemandes d’asile qui lui incombent aux portes del’espace Schengen. Parallèlement, annoncer uneprolongation des contrôles aux frontières intérieures del’espace Schengen, et réfléchir aux moyens de faciliterla réintroduction de ces contrôles constitue un signal,notamment vis-à-vis de la Grèce et de l’Italie, de ladétermination européenne à empêcher une reprise dela politique du « laissez-passer ». Il ne s’agirait pas eneffet que les personnes transférées vers la Grèce autitre du règlement Dublin reprennent immédiatementla route vers le nord de l’Europe. On le voit, la confiancene règne pas vraiment entre les Etats membres. Or,« la solidarité est fondée sur la confiance, qui nécessitela responsabilité »19. Si les Européens perçoivent quela Grèce et l’Italie sont tentées de faire semblantd’assumer leurs responsabilités au titre des règlementsDublin/EURODAC, ils risquent de faire semblant de leurtémoigner de la solidarité. Et réciproquement.4. Vers une coopération accrue avec les paystiers, au risque de mettre en danger les valeursde l’Union ?4.1. Certes, la coopération avec les pays tiersdans le domaine migratoire n’est pas nouvelle.Depuis 2005, elle a été formalisée dans « l’approcheglobale des migrations et de la mobilité », renouveléeen 2012 après les printemps arabes20. Afin de sortirde l’opposition frontale entre les demandes de voiesd’immigration légale vers l’Union, exprimées par despays voisins et par les pays en développement, et lesexigences européennes de lutte contre les migrationsirrégulières, l’objectif de cette approche globale estd’élargir le champ de la coopération au-delà de cesdeux domaines : y sont d’abord ajoutées des actionsde soutien du développement, visant à lutter contre lescauses profondes des migrations irrégulières et, depuis2012, des activités de soutien aux systèmes d’asile despays tiers afin de stabiliser les populations réfugiéesau plus près de leur pays d’origine. La coopérationavec les pays tiers se développe ainsi dans des cadresbilatéraux ou régionaux couvrant tous les domainesde l’approche globale (partenariats pour la mobilité,Processus de Rabat et Khartoum, programmesrégionaux de protection et de développement).4.2. Tous ces processus n’ont pas permis en2015 de réguler les flux migratoires.Un renforcement de la coopération avec l’ensemble despays situés sur les routes migratoires de la Méditerranéecentrale et orientale est donc recherché21. Ainsi, unTrust Fund (Madad) mobilisant environ 1 milliard € apour objectif de venir en aide aux réfugiés syriens et desoutenir les communautés hôtes dans les pays voisinsde la Syrie ; un Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique(FFU) doté de 2,5 milliards € vise à traiter les causesprofondes des migrations irrégulières, en particulierdans le cadre de partenariats renforcés avec 5 paysafricains22; enfin, un plan d’investissement externe15. European Commission,Commission Recommendation,addressed to the MemberStates on the resumption oftransfers to Greece underRegulation (EU) No. 604/2013,C(2016) 8525 final, 8.12.2016.16. 9th report on relocation andresettlement, COM(2017) 74final, 8.02.2017.17. Council Regulation (EU)2016/369 of 15 March 2016on the provision of emergencysupport within the Union.18. ECRE, Weekly Editorial:Europe’s not so-merrygo-round: Prematurereinstatement of Dublintransfers to Greece,10.02.2017.19. Rob Visser, « Le défi desmigrations », Séminaire sur« L’intégration européenne: l’Unité dans l’efficacité »,Rotterdam, 21 novembre 2016.20. Conseil européen deBruxelles des 15 et 16décembre 200521. Plan d’action, 2015 VallettaSummit on Migrations, 11-12November 2015. Declarationof the High-level Conferenceon the Eastern Mediterranean -Western Balkans Route, Councilof the EU, Press Release714/15,08/10/2015.22. European Commission,COM(2016) 385 final,7.06.2016. et Conseileuropéen, Conclusions du 28juin 2016.7FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 2017Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européennede 3,35 milliards € pour soutenir les investissementsprivés en Afrique et dans le voisinage de l’Union esten négociation. L’impact de ces actions reste modesteà ce stade23.Surtout, pour obtenir des résultats rapides dans cescoopérations, alors que les flux semblaient s’amplifierau début de 2016, et qu’on évaluait à 3 777 le nombrede disparitions en Méditerranée pour l’année 201524,une déclaration conjointe UE-Turquie a été signéeen mars 201625. Le dispositif mis en place vise àsubstituer aux entrées irrégulières des voies légalesd’accès à l’Union européenne qui pourraient concernerjusqu’à 72 000 réfugiés syriens enregistrés en Turquie.Il repose sur un engagement de la Turquie à mieuxcontrôler ses frontières, à réadmettre tout migrant ensituation irrégulière en provenance des îles grecques età améliorer le sort des réfugiés en Turquie. En échange,la Turquie se voit offrir une perspective renouveléede libéralisation des visas, des soutiens financiers(3 milliards €) et l’ouverture de chapitres d’adhésionà l’Union européenne. La mise en oeuvre de cettedéclaration conjointe a permis – jusque-là- de réduiredrastiquement les entrées irrégulières (182 000 en2016, dont 112 000 en janvier et février 2016, contre885 000 en 2015) et les disparitions de migrants enMéditerranée orientale (68 entre avril et décembre2016, contre 789 sur la même période de 2015).Cependant, pour permettre de renvoyer en Turquie despersonnes arrivées irrégulièrement en Grèce, il faudraitque la Turquie puisse clairement être considérée commeun pays tiers « sûr » ou comme un premier pays d’asileconformément à la directive « procédures » (2013/32).En dépit d’évolutions positives s’agissant du traitementdes réfugiés syriens (accès à l’aide humanitaire26 et aumarché légal de l’emploi27), la situation des réfugiésreste fragile28; de plus, les évolutions du régime turc,surtout depuis la tentative de coup d’Etat de juillet2016 et le référendum du 16 avril 201729 nourrissentdes doutes sur le caractère « sûr » de la Turquie, etsur la solidité de ses engagements migratoires enversl’Union européenne.L’idée, lancée lors du Conseil européen de février 201730,d’une coopération accrue entre l’Union européenne etles autorités libyennes31 pour stabiliser dans ce paysles candidats à l’immigration irrégulière vers l’Europesoulève des interrogations. Elle se fonde sur le constatque les entrées irrégulières en Italie à partir de laMéditerranée centrale ont augmenté de 18% entre2015 et 2016, passant de 154 000 à 181 000, et que90% des arrivants sont partis des côtes libyennes.Le nombre de disparitions en mer s’est fortementaccru sur la route de la Méditerranée centrale – de2 869 à 4 581 personnes entre 2015 et 2016 ; uneproportion importante des migrants arrivés en Italie en2016 était composée de Nigérians (21%), Erythréens(11%) et Guinéens (7%) dont le taux d’admission àl’asile dans l’Union dès la première instance était en2015 de 24,5% pour les Nigérians, 89,8% pour lesErythréens et 37,88% pour les Guinéens32. Lorsque lesdemandes d’asile de ces personnes sont rejetées, leuréloignement apparaît difficile, le taux de retour effectifdes déboutés du droit d’asile n’étant dans l’Union quede 36.4% en 201533.La recherche d’une coopération renforcée avec laLibye inspirée de la déclaration conjointe UE-Turquieviserait à renforcer les capacités libyennes pourmieux contrôler leurs frontières et lutter contre lespasseurs, éventuellement dans un cadre régional ;il s’agirait également d’améliorer les conditionsd’accueil des migrants en Libye, avec l’aide de l’OIMet du HCR, et de contribuer à leur intégration localeou à leur retour dans leur pays d’origine. Cependant,la mise en place concrète d’une telle coopérationconstitue un grand défi, du fait de l’extrême fragilitépolitique de la Libye et du caractère peu fiable lesacteurs libyens avec lesquels l’Union européennedevrait composer. Les réticences des Etats voisinsde la Libye (Tunisie, Egypte, Maroc) à s’engagerdans des accords de réadmission devraient aussiêtre surmontées34. L’absence du HCR sur placeet la présence de milices locales responsablesd’exactions à l’égard des migrants35 apparaissentégalement très préoccupants. Enfin, alors que, dansla déclaration conjointe UE-Turquie, la Commissionproposait le développement de voies légalesvia des réinstallations dans l’Union européenne,cette possibilité n’est pas mentionnée dans ladéclaration de Malte du 3 février 2017, et est jugéepeu praticable actuellement par l’OIM et le HCR36.23. Commission, européenne, 2 mars2017.24. IOM, https://missingmigrants.iom.int/mediterranean25. Conseil de l’Union européenne,Déclaration UE-Turquie du 18 mars2016.26. http://ec.europa.eu/echo/news/eu-announces-new-348-millionhumanitarian-aid-refugees-turkey_en27. Le Parlement européen demandaitune enquête sur des refoulementsde Syriens à la frontière syro-turque.« MEPs ask EU to verify whether Turkeyis shooting Syrians who try to crossborder”, European Parliament, pressrelease, 21.06.2016.28. Amnesty International a dénoncéque la Turquie aurait refusé l’accès àdes procédures d’asile à près de 30Afghans et les avait renvoyés de forceà Kaboul peu après l’entrée en vigueurde l’accord. Amnesty International,The EU-Turkey deal: Europe’s year ofshame”, 20.03.2017, www.amnesty.org. Human rights watch, “Q&A: Whythe EU-Turkey Migration Deal is NoBlueprint”, 14 Novembre 2016, https://www.hrw.org/news/2016/11/14/qa-why-eu-turkey-migration-deal-noblueprint.et “L’ONU peine à accéderaux camps de réfugiés en Turquie »,Euractiv, 20 janvier 2017.29. “Comprendre le déclin de ladémocratie en Turquie”, Le Monde, 9mars 2017.30. European Commission, JOIN(2017)4 final, 25.01.2017 et Conseil européeninformel, Déclaration de Malte parles membres du Conseil européenconcernant les aspects extérieurs desmigrations: remédier à la situation lelong de la route de la Méditerranéecentrale, communiqué de presse 43/17,03/02/2017.31. En l’occurrence, le Conseil dela présidence et le gouvernementd’entente nationale soutenus par lesNations unies.32. Eurostat, « Les États membres del’UE ont accordé en 2015 la protection àplus de 330 000 demandeurs d’asile »,Communiqués de presse, 75/2016 - 20avril 2016.33. European Commission, COM(2017)200 final, 02.03.2017.34. Le mandat donné à la Commissioneuropéenne pour négocier un accordde réadmission avec le Maroc date de2000 ; celles entamées en juin 2013avec la Tunisie piétinent ; la coopérationentre l’Union européenne et l’Egypte surles questions de migration et mobilitéest encore moins avancée.35. United Nations Support Mission inLibya, United Nations Human RightsOffice of the High Commissioner,Detained and dehumanized, Report onHuman rights abuses against migrantsin Libya, 13th December 2016.: HumanRights Watch, World report 2017,Libya, https://www.hrw.org/worldreport/2017/country-chapters/libya36. Joint UNHCR and OIM statementon addressing migration andrefugee movement along the centralMediterranean route”, 2 February2017, http://www.unhcr.org/news/press/2017/2/58931ffb4/joint-unhcriom-statement-addressing-migrationrefugee-movements-along.html#.FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 20178Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européenneAinsi, si les Etats membres convergent davantagepour renforcer leur coopération avec les pays tiersque pour partager entre eux l’effort de l’accueildes migrants, cette coopération avec des paystiers apparaît problématique : incertaine quantà son efficacité, elle risque en effet de placerl’Union européenne en défaut par rapport à sesambitions de porter dans le monde les principestels « l’universalité et l’indivisibilité des droitsde l’Homme et des libertés fondamentales (et) lerespect de la dignité humaine » (art. 21 TUE).III. LA REPRISE –INCERTAINE- DUCONTRÔLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURESNE PERMETTRA PAS D’ÉLUDER LA QUESTIOND’UN SAUT QUALITATIF DANS LA SOLIDARITÉMIGRATOIRE EUROPÉENNE1. La peur « aux commandes » de la politiquemigratoire européenne : la priorité donnéeau renforcement des contrôles aux frontièresDans le contexte actuel de risques terroristes,la réduction des vulnérabilités des frontièresextérieures de l’espace européen de librecirculation est perçue comme prioritaire parrapport à la répartition des demandeurs d’asileentre Etats membres. Plusieurs instruments ontainsi été adoptés -ou sont en discussion- pourréduire ces vulnérabilités : le Corps européen degarde-frontières et de garde-côtes, opérationneldepuis le 6 octobre 201637 est désormais enmesure d’effectuer une surveillance accrue desfrontières extérieures des Etats membres, et sinécessaire, d’y intervenir au moyen d’une réservede 1 500 garde-frontières. Une révision ciblée del’article 8 du Code frontières Schengen (règlement2017/458) permet en outre depuis le 7 avril2017 des contrôles systématiques, aux frontièresextérieures de l’Union, y compris pour les citoyenseuropéens.Par ailleurs, le développement de « frontièresintelligentes » est actuellement en négociation : unSystème entrées-sorties (SES) devrait permettre,d’ici 2020 d’améliorer l’efficacité des contrôles auxfrontières extérieures en repérant par un systèmede badges les personnes abusant de leur droit deséjour légal dans l’Union (« overstayers »)38. Demême, la création d’un Système d’information etd’autorisation de voyage (EU Travel Informationand Authorization System, ETIAS) inspiré de l’ESTAaméricain, permettra d’ici 2020 d’évaluer lesrisques migratoires et sécuritaires de personnesexemptées de visa avant qu’elles n’entrent dansl’Union39. Enfin, la Commission a présenté le 21décembre 2016 trois propositions de règlementafin de rénover le Système d’information Schengendans les domaines de la coopération policière etjudiciaire en matière pénale, les contrôles auxfrontières et enfin le retour des ressortissants depays tiers en séjour irrégulier40.Cependant, il faut être conscient que l’efficacitédes contrôles frontaliers ne sera jamais absolue :ce contrôle relevant de la souveraineté des Etats,l’intervention du Corps européen de gardefrontièresdans un Etat membre devra êtreautorisée par le Conseil et nécessitera toujoursune coopération de l’Etat concerné (art 19 durèglement 2016/1624). En outre, les contrôlessystématiques risquant de perturber les échanges,et les capacités techniques de les mener étantde facto limitées, il faudra parfois se contenterde contrôles ciblés, sur la base d’analyses derisques (art 8§2 bis du règlement 2017/458). Plusglobalement, de nombreux auteurs considèrent lescontrôles frontaliers comme une « cause perdue »ne pouvant véritablement dissuader les migrantsde tenter leur chance en Europe, mais contribuantsurtout au développement de réseaux de passeursorganisant dans des conditions de plus en plusdangereuses leur migration41.2. Ainsi, la question d’un saut qualitatif dansla solidarité migratoire européenne ne pourraêtre éludéeFondamentalement, l’obstacle principal à unerépartition des demandeurs d’asile entre Etatsmembres tient dans le fait que, finalement, trèspeu d’Etats membres sont réellement affectés37. Règlement UE n°2016/1624du Parlement européen et duConseil du 14 septembre 2016relatif au corps européen degarde-frontières et de gardecôtes,modifiant le règlement(UE) 2016/399 du Parlementeuropéen et du Conseil etabrogeant le règlement (CE)no 863/2007 du Parlementeuropéen et du Conseil, lerèglement (CE) no 2007/2004du Conseil et la décision2005/267/CE du Conseil.38. Commission européenne,COM(2016) 194 final, 6 avril2016.39. Commission européenne,COM (2016) 731 final, 16novembre 2016.40. European Commission,COM(2016) 882 final.: EuropeanCommission, COM(2016) 881final, 21.12.2016: EuropeanCommission, COM(2016)883,21.12.2016.41. Beauchemin (Chris), Ichou(Mathieu) (dir.), Au-delà de lacrise des migrants : décentrer leregard, Kathala, 2017.9FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 2017Dublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européennepar la crise migratoire. En 2016, l’Allemagnea reçu 722 300 demandes d’asile, soit 60% dutotal ; l’Italie, 121 200 (10%), la France 76 000(6%), la Grèce 49 9000 (4%), l’Autriche 39 900(3%), le Royaume-Uni 38 300 (3%)42. Pour qu’unepolitique commune dans le domaine migratoireexiste réellement, il faudrait que le phénomènetransnational de la migration, qui ne peut être géréde manière individuelle par les Etats membres,affecte un plus grand nombre d’entre eux. Or, siseulement quelques-uns sont vraiment concernés,la tentation de ceux qui le sont beaucoup moinsest juste de regarder ailleurs et de soutenir desrègles communes qui renforcent la responsabilitédes Etats membres les plus affectés. Pour qu’il yait un saut qualitatif dans la solidarité migratoireeuropéenne, il faudrait donc que les Etats membresaient conscience d’un intérêt propre à cettesolidarité, parce qu’ils pourraient être affectéségalement par des flux migratoires (soit en raisonde modifications des routes migratoires, soit parle développement de flux secondaires) ; ou alorsqu’ils fassent le choix de la solidarité, parce quele « business as usual » de l’application étroitedu principe de responsabilité de l’Etat membre depremière entrée condamne l’Union, en cas d’affluxmassif de migrants, à un cercle vicieux de nonrespectdes règles communes, de destruction dela confiance mutuelle entre Etats membres et faitde la politique migratoire européenne un puissantfacteur de désintégration de l’Union.Les coopérations « renforcées » (art 20 TUEet 329 TFUE), réunissant au minimum neufEtats membres, ou bien des coopérations« intergouvernementales », développées horstraités, et associant un nombre encore plusréduit d’Etats membres, mais excluant ceux quirefuseraient cette solidarité, ne permettraient pasà coup sûr un saut qualitatif dans la solidaritémigratoire européenne. En effet, outre que cesdeux types de coopération seraient complexes àlancer, car elles ne pourraient intervenir qu’endernier ressort, pour surmonter un blocagecaractérisé des négociations européennes, ellesréduiraient « l’effet utile » de la répartitiondes migrants entre les Etats membres, si cettedernière ne pouvait intervenir qu’entre les seulspays vraiment concernés par les flux migratoires,et donc demandeurs de solidarité. S’agissantdes coopérations intergouvernementales, ellesne peuvent en outre se développer que dans desdomaines où l’Union n’est pas encore intervenue43,ce qui exclurait leur utilisation dans le domainedes relocalisations ou des soutiens via FRONTEXou EASO. Enfin, parce qu’elles sont dérogatoiresde l’action européenne commune, les coopérationsrenforcées et intergouvernementales ne peuventbénéficier de financements européens, ce quiserait particulièrement fâcheux dans le domainedes relocalisations, qui ont un impact budgétairecertain.Ainsi, un saut qualitatif dans la solidaritémigratoire européenne devrait être recherché avecl’ensemble des Etats membres, ce qui permettraitde réaffirmer que la solidarité constitue unprincipe fondamental de l’action européenne dansle domaine migratoire. Si certains Etats membresrefusaient obstinément de prendre part à cettesolidarité migratoire européenne, leur défectiondevrait être regardée et traitée pour ce qu’elleest, c’est-à-dire comme un manquement à unprincipe affirmé dans le traité de Lisbonne44. Cen'est pas certain, car c'est en obtenant l'adhésionde ses membres, et non en les contraignant, quel'Union européenne pourra vraiment surmonterles difficultés auxquelles elle est actuellementconfrontée.***A court terme, un renforcement du contrôle desfrontières extérieures apparaît donc comme unenécessité et requiert un plein engagement des Etatsde première entrée pour regagner la confianceécornée de leurs partenaires européens ; mais,parallèlement, il faudra convaincre les Etats moinsconcernés par la crise migratoire de la nécessitéd'efforts de solidarité accrus avec leurs partenairessitués aux frontières extérieures de l’Union, cequi passeront par une remise en cause, au moins42. Eurostat, 1,2 millionde primo-demandeursd’asile enregistrés en 2016,Communiqué de presse,46/2017, 16 mars 2017.43. Selon l’art 2§2 duTFUE « Lorsque les traitésattribuent à l’Union unecompétence partagée avecles États membres dans undomaine déterminé, (…) (les)États membres exercent leurcompétence dans la mesure oùl’Union n’a pas exercé la sienne.Les États membres exercent ànouveau leur compétence dansla mesure où l’Union a décidéde cesser d’exercer la sienne. »Par exemple, si le Conseil ademandé à la Commission defaire une proposition, si uneproposition a été déposéepar la Commission ou si unecompétence a été exercéeen interne, dans le cas oùune action extérieure seraitenvisagée, alors les Etatsmembres ne peuvent plus selancer dans une coopérationintergouvernementale.44. A cet égard, certainsEtats membres évoquent uneréduction des fonds structurelsen faveur des nouveaux Etatsmembres réticents à l’égardde la solidarité migratoire.Cf. « Réfugiés : l’Allemagnesuggère de couper les fondsde l’UE aux pays opposésaux quotas », Le Figaro, 15septembre 2015.FONDATION ROBERT SCHUMAN / QUESTION D’EUROPE N°434 / 15 MAI 201710Directeur de la publication : Pascale JOANNINLA FONDATION ROBERT SCHUMAN, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre derecherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut lecontenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches,ses publications et l’organisation de conférences. La Fondation est présidée par M. Jean-Dominique GIULIANI.Retrouvez l’ensemble de nos publications sur notre site :www.robert-schuman.euDublin et Schengen :Regagner la confiance et renforcer la solidarité entre les Etats membres de l’Union européennepartielle, du principe de responsabilité des Etatsmembres de première entrée, et une montée enpuissance des programmes de relocalisation.Il faudra convaincre que cette solidarité devraitcontribuer à renforcer la sécurité et viabilitéde l'espace Schengen de libre circulation ; quela crédibilité de l'Union européenne en tantqu'organisation porteuse dans le monde et auxyeux de ses citoyens de valeurs tels la dignitéhumaine et le respect des droits de l'Homme esten jeu ; mais qu'au delà, c'est une vision plusglobale de l'apport historique de la constructioneuropéenne à la paix, à la prospérité et à lapuissance du continent européen et de sesÉtats membres qu'il importe de préserver et derelancer.Corinne BalleixChargée de la politique européenne d’immigrationet d’asile au ministère des Affaires étrangères, elleest l’auteur de La politique migratoire de l’Unioneuropéenne, Paris, La Documentation française, 2013
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