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Fwd: [Migreurop] L’Etat d’abjection, par Jean-François Bayart, CNRS

from Mouhieddine Cherbib on Jan 31, 2018 04:04 PM
http://movida.hypotheses.org/1943L’Etat d’abjection, par Jean-François
Bayart, CNRS

par Alice Jeannelle <http://movida.hypotheses.org/author/movida> ·
26/01/2018

*Partagé avec l’aimable autorisation de l’auteur*

*L’Etat d’abjection*

A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état
d’abjection. La bouche mielleuse, nous parlons de l’impérieux devoir
d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés
autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et
jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Erythrée, nous sommes prêts à signer
des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés
africains de faire le sale travail de refoulement à notre place. Nous
stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible
l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et
démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre
lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que
nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot
des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en
Afghanistan, en Irak et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous
détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons
d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous
enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.

De même que l’état d’exception a institué l’Etat d’exception, par
l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses
dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’Etat
d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il
repose. Auréolé de son commerce estudiantin avec Paul Ricoeur, le fringant
Emmanuel Macron en sera le parfait fondé de pouvoir, dont le ministre de
l’Intérieur, hagard et patibulaire, accomplira les basses œuvres. D’ores et
déjà, il s’emploie à faire taire le malaise qui sourd dans les rangs de son
parti. Un consensus honteux se met en place entre la plupart des formations
représentées au Parlement, un consensus dont les mots puent le mensonge et
l’hypocrisie. Dans la droite ligne d’un Manuel Valls affirmant qu’expliquer
c’est excuser, le président de la République entend « se garder des faux
bons sentiments » et enfourche le cheval du populisme en opposant les «
intellectuels » au « peuple » : « Quand il y a des désaccords entre le
peuple et les intellectuels, c’est qu’il y a beaucoup de confusion chez les
intellectuels », a-t-il déclaré à Rome le 11 janvier. A quand les jurys
populaires pour recruter ou évaluer les universitaires ?

Or, cette politique est dangereuse en même temps qu’elle est abjecte. Elle
met en dissidence un nombre croissant de personnes. Les migrants eux-mêmes,
bien sûr, qu’elle accule à une clandestinité publique. Mais aussi les
militants associatifs ou les simples citoyens qui leur portent assistance,
et que pourchassent les forces de l’ordre ou qu’incriminent les juges pour
crimes d’humanité. Les organisations mafieuses d’Europe du Sud ou d’Afrique
saharo-sahélienne prospèrent grâce à la rente artificielle que leur procure
la prohibition de l’immigration, et elles développent un savoir-faire dans
le franchissement illégal des frontières que les djihadistes n’ont pas
manqué d’exploiter à leur tour. En Libye, voire dans le Sahel, elles
tendent à se militariser, sur le modèle du Mexique, où les cartels tirent
parti tout à la fois du convoyage des migrants et du trafic de narcotiques.
Le blocage des routes sahariennes désorganise l’économie du nord du Niger,
au risque d’y favoriser une reprise de la rébellion touarègue, laquelle se
grefferait sur les mouvements djihadistes du Mali. La misère et l’exclusion
sociale auxquelles on astreint les réfugiés ou les migrants dans nos villes
constituent une menace pour la santé publique en les privant de suivi et de
soins médicaux, alors même que ces populations en provenance des zones de
guerre d’Irak, de Syrie et de Libye sont potentiellement porteuses de
maladies graves et de formes de résistance aux antibiotiques qu’a
engendrées leur exposition aux métaux lourds et à toutes sortes de
pollution, dans les ruines des villes bombardées – l’une des conséquences
des guerres de l’Occident que leurs thuriféraires néoconservateurs
préfèrent passer sous silence, mais qui est la hantise des hôpitaux. Pis
encore, la République, son administration, sa police, sa classe politique,
perd son âme et son honneur.

Face à l’état d’abjection qui tourne au crime contre l’humanité et à la
violation systémique des droits de l’Homme, et en attendant la saisine de
la Cour pénale internationale, désormais inévitable à terme, le
fonctionnaire doit faire valoir son devoir de désobéissance à des ordres
anticonstitutionnels de nature à compromettre un intérêt public, et le
citoyen son droit à la désobéissance civile. La complicité, même passive,
n’est plus de mise. C’est en toute clarté intellectuelle qu’il convient de
résister à la confusion morale qui entache notre politique migratoire
depuis près de cinquante ans.


Par Jean-François Bayart

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