intervention de Bernard Ravenel à la soirée d'hommage à François della Sudda
from
ben-said2
on Feb 07, 2018 04:11 PM
Message du 06/02/18 15:29
De : "Gustave Massiah"
Bonjour
voici l'intervention de Bernard Ravenel à la soirée d'hommage
à François della Sudda
amicalement
gustave massiah
FRANÇOIS DELLA SUDDA (Bernard Ravenel)
C'est avec une double casquette - ex-militant du PSU et militant de
l'AFPS - que je parlerai ce soir de François della Sudda qui a été pour
moi non seulement un camarade mais un ami très proche.
Mon propos principal est de démontrer son rôle central dans la
constitution d'un mouvement large de solidarité avec le peuple
palestinien, probablement le plus structuré d'Europe.
Le mouvement initial a été lancé dans le cadre du PSU en 1970 dont
François était membre depuis début 1967 (dans les Yvelines), après son
retour du Maroc et d'Algérie ce qui lui valut d'être sollicité sur les
questions de coopération par le Cedetim.
L'année 1967 c'est évidemment celle de la guerre des Six jours qui
surprend le PSU en plein congrès. Evénement crucial qui fait découvrir
la situation au Moyen-Orient à l'ensemble du PSU, avec l'occupation
israélienne non seulement de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem-Est
mais aussi du Golan syrien et du Sinaï égyptien. C'est le début des
colonies de peuplement, c'est la résolution 242 du Conseil de sécurité
qui demande le retrait des territoires occupés et qui ne fut jamais
respectée par Israël.
Le PSU quant à lui, a des liens étroits avec un parti socialiste de
gauche israélien, le MAPAM, alors favorable à un état binational et qui
intègre un assez grand nombre d'Arabes israéliens. Ce parti s'oppose à
l'administration militaire imposée aux " Palestiniens de l'intérieur ".
Mais après la guerre de 67 il fait parie d'un gouvernement d'union
nationale et en 1969 il rejoint le parti travailliste de Ben Gourion, le
MAPAÏ, et s'aligne de fait sur sa politique. Ce sera la rupture avec le
PSU. Le contact est alors pris avec le Matzpen, organisation
antisioniste israélienne, dont le représentant en France est Elie Lobel
que François rencontre au siège du PSU (rue Mademoiselle) ou rue
Notre-Dame des Champs où siège le Cedetim. Les informations qu'il reçoit
en outre à la Commission internationale du PSU lui servent de référence.
D'autant qu'à cette période le PSU fait un énorme effort d'information
et de formation militante dans la région parisienne : Un
PSU-Documentation (" La lutte du peuple palestinien et la question du
Moyen-Orient ", un dossier spécial " Pour une Palestine unifiée ",
articles dans Tribune socialiste, participation à des colloques à Alger,
au Koweit, contacts entre la GUPS (étudiants palestiniens) et les ESU
qui vont dans les camps palestiniens en Jordanie). En 1970 les fedayins
sont en effet, installés en Jordanie dans de nombreux camps
d'entraînement et Hussein qui, de fait, se sent menacé, décide la
liquidation de ces camps : ce sera Septembre noir, les combats sont très
violents, des milliers de fedayins sont tués .
François déclara plus tard à un étudiant qui travaillait sur le PSU et
la question palestinienne : " J'ai découvert la tragédie palestinienne
avec les événements de Jordanie. J'ai été profondément marqué par les
témoignages désespérés de nombreuxPalestiniens que j'avais recueillis Il
fallait que le PSU agisse. On a donc décidé avec Heurgon de faire tout
ce qui était en notre pouvoir pour les aider ".
La Maison du Maroc , François della Sudda et la Palestine
Je reprends ici un récit fait par François à l'occasion d'une réunion
organisée au cinéma La Clef par les Amis de tribune socialiste en
Novembre 2003
" Pour bien comprendre les initiatives qui vont être prises, je rappelle
que, à Paris, à la maison du Maroc, dont j'étais directeur, depuis
quelques mois étaient hébergés clandestinement, aves l'accord du comité
es résidents et le mien, donc avant septembre noir, deux militants
palestiniens, Mahmoud Hamshari et Ezzedine El Kalak. Ce sont les deux
futurs représentants de l'OLP à Paris, qui seront tous les deux
assassinés et qui sont à Paris pour établir la représentation officielle
de l'OLP en France, donc avec une mission quasiment officielle, ce ui
veut dire qu'ils étaient clandestins à la maison du Maroc, personne ne
savait qu'ils étaient là pour des raisons évidentes de sécurité et plus
généralement politiques ; en revanche le gouvernement français, le
ministère de l'intérieur et notamment le ministère des affaires
étrangères connaissaient leur existence puisqu'ils avaient tous les deux
des contacts avec ces instances gouvernementales.
Quand commencent les affrontements en Jordanie, je ne suis pas étonné
que Mahmoud et Ezzedine viennent me trouver en me demandant i nous
pouvions les laisser utiliser les parties communes de la maison pour
organiser l'information et tout ce que l'on peut organiser dans ce genre
de situation, ce qui se fait avec l'accord du comité des résidents, le
soutien du PCML, le parti communiste marxiste-léniniste dont l'animateur
principal est Gilbert Mury et;e soutien de la section PSU de la cité
universitaire dont je fais partie. Vont alors se succéder des collectes
de sang, de vêtements, de médicaments, on y organisera des meetings et
on y développera les actions d'information et de mobilisation que vous
pouvez imaginer ".
L'affaire du drapeau palestinien
" Et je ne résiste pas au plaisir de raconter un fait qui n'était que
symbolique, mais qui a eu une portée dans la maison à cette époque :
nous avions décidé d'un commun accord (je crois que c'est plutôt à
l'initiative de militants français dont j'étais, mais avec l'accord de
nos amis palestiniens) de hisser sur la hampe prévue pour le drapeau
marocain, le drapeau palestinien, ce qui fait que le drapeau palestinien
a flotté devant la maison du Maroc pendant plusieurs semaines, une
vingtaine de jours, au moins malgré les exigences de la direction de la
Cité, qui souhaitait que ce drapeau soit enlevé. Je trouvais chaque jour
une explication, une justification pour qu'il puisse rester en place.
Finalement Mahmoud Hamshari est venu me voir un matin dans mon bureau en
me disant : "Les affaires étrangères m'ont alerté sur la présence de ce
drapeau, ils souhaitent que ce drapeau soit enlevé, ils n'arrivent pas à
obtenir de toi que tu l'enlèves, moi, Palestinien, je te demande
d'enlever ce drapeau ", donc à ce moment -là, je l'ai enlevé ".
Le Bureau d'Aide à la Résistance Palestinienne
Dans la vision stratégique du PSU l'OLP et le PSU se situent sur des
fronts différents mais mènent un combat complémentaire avec un objectif
commun : l'éradication de l'impérialisme. En France ce sont les
travailleurs immigrés, essentiellement les ouvriers arabes, qui, avec
les travailleurs français, font partie du prolétariat international et
doivent mener ensemble des actions communes dans des comités Palestine
contre la xénophobie et le racisme. Dès Septembre 1970 le PSU envoie un
message au Comité Central de la Résistance Palestinienne dans lequel il
annonce " qu'il participera en accord avec les autres courants
révolutionnaires de France, la coordination de la solidarité du peuple
français envers la résistance palestinienne. Il fera connaître la
signification de votre lutte, face à la coalition des forces
impérialistes et à l'attitude complice des grandes puissances. Vive la
Résistance Palestinienne ! Vive la solidarité internationale des peuples
contre l'impérialisme ! "
Dans la foulée Marc Heurgon et François lancent le BARP, Bureau d'Aide à
la Résistance Palestinienne. Plusieurs membres du BN du PSU -Heurgon,
Béhar, Bridier - y participent aux côtés des organisations françaises
d'extrême-gauche - maoïstes et troskystes et …Jean-Edern Hallier.
François assurera le secrétariat tout le temps de son existence, il en
sera aussi, de fait le trésorier officiel. Il est alors soutenu par le
premier représentant de l'OLP en France, Mahmoud Hamshari qui l'envoie à
Vienne pour un colloque important sur la Palestine.
En septembre 1970 , à partir du BARP, a lieu le premier grand meeting
sur la Palestine à la Mutualité. François della Sudda y parle à côté des
organisations d'extrême-gauche , il ne se présente pas comme PSU mais
tout le monde sait qu'il est l'animateur PSU du BARP à l'origine du meeting.
" Tribune socialiste " ,24 septembre 1970 ,rend compte ainsi de ce
meeting " historique " :
" L'enjeu réel du conflit au Moyen-Orient venant d'être brusquement
dévoilé devant l'opinion publique, il ne faut pas s'étonner que la
grande salle de la Mutualité ait été entièrement remplie, à l'appel de
la GUPS (Union générale des Etudiants Palestiniens) et de toutes les
organisations d'extrême-gauche.
De nombreuses informations furent données à l'auditoire, tant sur le
travail pratique de a révolution dans les masses palestiniennes que sur
la résistance victorieuse des Palestiniens aux troupes d'Hussein.
Un appel a été lancé pour la multiplication des comités e soutien à la
résistance palestinienne dans les quartiers et dans les entreprises.
Le Secours Rouge a également appelé à la collecte de sang de médicaments
et d'instruments chirurgicaux. Les dons en sang peuvent se faire à
l'hôpital Bichat. Les fournitures médicales (antibiotiques,
analgésiques, sulfamides, trousses chirurgicales, matériel de suture et
de pansement, sérum antitétanique, coton, désinfectants, etc.) peuvent
être envoyés au Croissant Rouge palestinien, Maison du Maroc, 1,bd
Jourdan, Paris-14, qui les acheminera.
L'aide financière peut être envoyée au Secours Rouge Palestine, CCP
Louise Lemée, 46-41-25 Paris, 5,rue Gutemberg (15è) "
Avec François et le BARP le rôle central du PSU dans cette première
initiative est clair ; il faut y ajouter le rôle de Marcel-Francis Kahn
(un des fondateurs de l'AMFP- Association médicale franco-palestinienne
à ce moment) à l'hôpital Bichat pour le rassemblement du matériel
médical et aussi de Louise Lemée amie personnelle de Marc Heurgon pour
la collecte d'argent.
Le BARP se dissoudra fin 1971 et laissera la place à un comité de
soutien à la Résistance Palestinienne et bientôt au Comité national
Palestine (CNP), avec le soutien d'Ezzedine Kalak devenu représentant de
l'OLP après l'assassinat de Mahmoud Hamshari. Jusqu'en 1982 avec la
guerre du Liban, il y aura de nombreux meetings et manifestations. Après
une période où prévaut un sentiment d'échec, la fin des années 1990
connaît une relance de la mobilisation. En 2001 les deux associations
survivantes du mouvement (AMFP, AFP) fusionnent pour fonder l'AFPS dont
je deviens président. C'est alors que François me fait part de sa très
grande satisfaction et me propose d'organiser ensemble avec le soutien
des comités Palestine de la région parisienne un grand meeting de
lancement à la Mutualité. L'objectif politique est de soutenir les
parlementaires européens qui ont fait adopter une résolution demandant
la suspension de l'accord d'association entre l'UE et Israël. C'est lui,
au nom de la Ligue des droits de l'homme, qui parvient à s'assurer la
Mutu après une série de démarches que seul il pouvait mener à bien.
Finalement sous la présidence de Madeleine Rébérioux on réalise autour
de Leila Shahid un plateau exceptionnel réunissant des députés UMP, PS
(Manuel Vals!) et PC et l'eurodéputée LCR Roselyne Vachetta avec de
nombreux messages internationaux. On lance le boycott des produits
israéliens des colonies pour lequel on obtient le soutien de Gush Shalom
d'Uri Avneri. Deux ans après, évoquant ce meeting, François se souvient
: " Nous avions conscience que cela faisait de très nombreuses années
que nous ne nous étions retrouvés à la Mutualité qui était un petit peu
notre lieu de rassemblement . " Ce meeting, auquel beaucoup ne
croyaient pas, fut un moment fondateur du nouveau mouvement pour la
Palestine. Il constitue pour moi un souvenir marquant. Dès lors François
m'accompagna dans mes contacts politiques, me faisant bénéficier des son
expérience. C'est ainsi qu'il m'emmena voir le responsable international
du PS, Jean-François Nallet, qui fut ouvert à notre discours. Il me fit
aussi rencontrer des personnalités " improbables " comme Michèle
Alliot-Marie - imbuvable... et Jean François Copé qui fut correct … Et
puis il me fit mieux connaître le milieu associatif qu'il avait beaucoup
fréquenté y compris pour me mettre en garde vis-à-vis de ses limites
mais aussi pour me mettre en garde contre des initiatives " extérieures
" au langage souvent radical qui, - la suite lui donna raison - lui
semblaient suspectes ...Tout cela me fut d'une aide précieuse dans
l'exercice de ma fonction.
Un mot sur le Maroc
Notre militance commune ne s'est pas limitée à la Palestine. Le Maroc
est restée aussi notre préoccupation commune. Je me souviens qu'en 1981
à l'arrivée de la gauche au pouvoir et apprenant qu'un voyage de
F.Mitterrand au Maroc était imminent, nous sommes allés à l'Elysée voir
celui qui devait être son chef de cabinet -Delay- pour demander
l'intercession du Président pour la libération d'Abderrahim Bouabid
alors secrétaire de l'USFP. En 1985 nous décidâmes ensemble d'organiser
un colloque de travail sur les relations France-Maroc qui nous
semblaient n'avoir guère changé. Le dossier ainsi constitué a été
particulièrement dense avec des contributions de qualité : Jean Dresch,
R.Fosset, R.Gallissot, JP Hébert. Pour ma part je développais la
question délicate des rapports stratégiques entre la France et le Maroc.
" France-Maroc : Continuité ou changement ? " Tel était le titre de ce
dossier qui , plus de 30 ans après, ne paraît pas dépassé...
En conclusion je ferais une dernière remarque , personnelle celle-là.
L'informant de la mort de ma mère et sachant l'attachement que je lui
portais, il m'envoya une carte très touchante dont je garde un souvenir
lumineux. J'ai perdu un ami, un grand ami.