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Au Maroc, l’interminable procès de la révolte du Rif

from Mouhieddine Cherbib on Feb 10, 2018 01:39 PM
REPORTAGE
Au Maroc, l’interminable procès de la révolte du Rif

En octobre 2016 éclatait un vaste mouvement de contestation sociale,
surnommé le Hirak, dans cette région du Maroc. Une cinquantaine de ses
membres sont jugés à Casablanca.

Par Charlotte Bozonnet
<http://abonnes.lemonde.fr/journaliste/charlotte-bozonnet/> (Casablanca,
envoyée spéciale)

LE MONDE Le 09.02.2018 à 11h08 • Mis à jour le 10.02.2018 à 06h56
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<http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/09/au-maroc-le-hirak-en-proces_5254234_3212.html#liste_reactions>
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http://img.lemde.fr/2018/02/08/124/0/4928/2461/768/0/60/0/61e5435_8327-m0ecep.d2vfi.jpg
[image: Des partisans du « Hirak » demandent la libération du leader du
mouvement, Nasser Zefzafi, devant la cour d’appel de Casablanca, au Maroc,
le 5 janvier 2018.]

Dans la salle d’audience de la cour d’appel de Casablanca, on entend monter
de loin la clameur des détenus arrivant de la prison. Elle finit par
résonner haut et fort dans les couloirs du tribunal. Il faut attendre
plusieurs minutes pour que les prisonniers, parqués dans un espace vitré,
achèvent leur chant, poing levé : *« Je jure de ne jamais trahir ma cause
[…] Vive le Rif ! Vive la patrie ! »* Le président du tribunal, robe noire
et col vert, assis sous les portraits de Hassan II et de Mohammed VI,
égrène le nom des accusés.

Lire aussi :   « Le Hirak démontre que le combat pour la démocratie au
Maroc est plus que jamais à l’ordre du jour »
<http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/22/le-hirak-demontre-que-le-combat-pour-la-democratie-au-maroc-est-plus-que-jamais-a-l-ordre-du-jour_5218635_3212.html>

Il y a un an débutait à Al-Hoceima, ville côtière du nord du Maroc, une
vague de répression contre un mouvement de contestation sociale surnommé le
Hirak (« la mouvance »). Des centaines de personnes, principalement des
jeunes, ont été arrêtées. Parmi eux, 54 ont été emmenés à Casablanca, à
550 km de distance, où ils sont détenus dans la prison d’Oukacha et où ils
sont aujourd’hui jugés. *« Ceux qui se trouvent à Casablanca sont
considérés comme les meneurs »*, souligne Me Abdelaziz Nouaydi, l’un des
avocats de la défense.
Broyé dans une benne à ordures

Dans le box des accusés figure Nasser Zefzafi, 39 ans, devenu au fil des
mois le visage du Hirak. Cet enfant du Rif, chômeur, avait pris la tête des
premiers rassemblements, déclenchés en octobre 2016 par le décès d’un jeune
vendeur de poissons d’Al-Hoceima. Mouhcine Fikri, 31 ans, broyé dans une
benne à ordures alors qu’il tentait d’empêcher la destruction de sa
cargaison saisie par la police. La marchandise avait certes été pêchée
illégalement mais, dans cette région enclavée où l’économie informelle fait
vivre de nombreuses familles, le drame avait suscité un vaste mouvement de
colère et de revendications pour plus de justice sociale.

Pendant des mois, les autorités laissèrent faire les manifestants, jusqu’à
ce jour de mai 2017 : choqué par le prêche d’un imam hostile au Hirak,
Nasser Zefzafi intervint dans une mosquée. Un acte intolérable selon les
autorités. Véritable ligne rouge ou simple prétexte, l’épisode donna en
tous cas le coup d’envoi de la vague d’arrestations.

Lire aussi :   Au Maroc, la répression du Hirak provoque un nouvel exode de
migrants vers l’Espagne
<http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/02/au-maroc-la-repression-du-hirak-provoque-un-nouvel-exode-de-migrants-vers-l-espagne_5209309_3212.html>

Le procès des 54, éminemment politique, s’est ouvert en septembre 2017. Les
autorités accusent les meneurs de visées séparatistes et d’avoir voulu
déstabiliser le pays, le Rif ayant une longue histoire de contestation – et
de répression par le pouvoir central. *« Peut-être que le mouvement était
social au début, mais ensuite le groupe a pris ce prétexte pour justifier
ses activités. Ils étaient en contact avec des ennemis du Maroc à
l’extérieur », *avance Me Mohamed Al-Hosseini, représentant des parties
civiles. Les jeunes d’Al-Hoceima et leurs avocats dénoncent, eux, la
répression d’un mouvement à visée uniquement économique et sociale.
Jusqu’à vingt ans de prison

Après plusieurs mois de discussions sur la forme, les audiences sur le fond
ont débuté vendredi 26 janvier. L’ambiance est électrique. Aux trois
accusés – en liberté provisoire – qui comparaissent ce matin-là, on
reproche leurs liens avec Nasser Zefzafi. Pour preuves, des photos sont
diffusées sur les rétroprojecteurs. On y voit les jeunes Rifains, tout
sourire, aux côtés de Zefzafi ou dans les manifestations. Le ton monte
entre une des avocates de la défense et le président du tribunal. Les
échanges fusent – et prêtent parfois à sourire : *« Ça se voit qu’ils sont
proches »*, *« Evidemment, ce sont des amis d’enfance »*. Ou encore :
*« Pourquoi
ne pas brandir le drapeau du Maroc ? »*, *« Je n’en avais pas à la maison »*
…

Une partie des accusés sont poursuivis pour des délits (outrage aux forces
de l’ordre ou incitation à participer à une manifestation non autorisée) et
risquent des condamnations allant jusqu’à cinq ans de prison ; les autres
pour des crimes : atteinte à la sécurité intérieure de l’État, tentatives
de sabotage, de meurtre et de pillage (un bâtiment et des véhicules de la
police ont été incendiés pendant les manifestations) ou conspiration contre
la sécurité intérieure. Les peines encourues sont alors beaucoup plus
lourdes : jusqu’à dix voire vingt ans de prison et même, en théorie, la
peine capitale (non appliquée par le Maroc depuis 1993).

Lire aussi :   Au Maroc, la colère étouffée des insurgés du Rif
<http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/24/au-maroc-la-colere-etouffee-des-insurges-du-rif_5176028_3212.html>

*« Tout cela est basé sur une théorie échafaudée par la police : ils
auraient reçu de l’argent de séparatistes pour déstabiliser le pays. Les
preuves présentées sont très contestables et nous le démontrerons : ce sont
des jeunes qui sont attachés à l’unité de leur pays et veulent juste vivre
dignement »*, martèle Me Nouaydi, qui défend notamment Fahim Ghattas. Sans
diplôme universitaire, celui-ci était serveur au café Galaxy, fréquenté par
les protestataires. Ses « crimes », selon l’avocat : avoir essayé de
trouver un refuge pour Nasser Zefzafi quand celui-ci était poursuivi par la
police, mais aussi avoir récolté de l’argent – quelque 500 dirhams
(44 euros) – pour fabriquer des banderoles.
Grèves de la faim

Ce procès à Casablanca est un calvaire pour les familles de prisonniers,
obligées de faire 1 100 km aller-retour pour voir leurs proches en prison :
deux heures de parloir le mercredi, auxquelles s’ajoutent les deux à trois
audiences par semaine. Dans la salle du tribunal, on s’envoie des baisers,
on se demande des nouvelles en tentant de lire sur les lèvres. Une petite
fille coiffée d’une longue tresse fait des coucous à travers la vitre. *« Les
premiers temps, la salle était pleine, là les bancs sont plus clairsemés »*,
fait remarquer un journaliste marocain régulièrement présent aux audiences.

La famille de Mohamed Hak, 34 ans, propriétaire du café Galaxy, vit cela
depuis des mois. Son frère et ses deux sœurs ne comprennent pas : *« Il
sortait manifester comme les autres, pour que les choses s’améliorent à
Al-Hoceima, il a un diplôme de tourisme mais n’a jamais trouvé de
travail. »* Ils dénoncent la dureté des conditions de détention. Ces
derniers mois, plusieurs prisonniers se sont mis en grève de la faim pour
obtenir des améliorations : de l’eau chaude, plus de temps avec les
familles, la possibilité d’acheter de la nourriture. *« Ils ont le droit à
quinze minutes de téléphone deux fois par semaine, et pour appeler un seul
numéro »*, explique Fatiha, l’une des sœurs.

Lire aussi :   Le pouvoir marocain ébranlé par un an de révolte dans le Rif
<http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/26/le-pouvoir-marocain-ebranle-par-un-an-de-mouvement-social_5206040_3212.html>

Les auditions vont se poursuivre encore des semaines. Une vingtaine
d’accusés ont déjà comparu, les cas les plus lourds, dont celui de Nasser
Zefzafi, passeront probablement en dernier. L’avocat des parties
civiles, Me Al-Hosseini,
affirme : *« Ils s’expriment librement. Un inculpé, hier, a parlé presque
deux heures. Ils peuvent parler de tout : de l’arrestation *[plusieurs
détenus ont déclaré avoir été passés à tabac]*, de l’enquête préliminaire,
etc. On ne pourra pas être accusé de ne pas leur avoir donné la parole. »* Du
côté des familles, c’est la crainte qui domine. *« Ce procès est une façon
de faire un exemple, c’est aussi une guerre d’usure avec les détenus et
leur famille »*, estime Me Nouaydi.

En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/09/au-maroc-le-hirak-en-proces_5254234_3212.html#cvY3qIKReFgdkFFO.99

-- 
Cherbib Mouhieddine
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