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Vincent Geisser : Les Binationaux

from Mouhieddine Cherbib on Dec 14, 2022 11:02 AM
France-Maroc le vrai-faux procès identitaire fait aux supporters binationaux
Publié: 13 décembre 2022, 20:00 CET
auteur

   1. Vincent Geisser
   <https://theconversation.com/profiles/vincent-geisser-1172020>

   Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)

Déclaration d’intérêts

Vincent Geisser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de
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de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme
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[image: Un supporter agite un drapeau du Maroc assis sur le toit d'une
voiture auquel est aussi accroché un drapeau de la France. Champs Elysées à
Paris, le 6 décembre 2022.]
Un supporter agite un drapeau du Maroc assis sur le toit d'une voiture
auquel est aussi accroché un drapeau de la France. Champs Elysées à Paris,
le 6 décembre 2022. Stéphane De Sakutin /AFP

Des drapeaux marocains, algériens, tunisiens ou encore sénégalais brandis
par des supporters qui ont toujours vécu en France et possèdent dans leur
grande majorité la nationalité de ce pays à chaque fois, ces scènes d’avant
et d’après-match ne manquent pas de susciter des débats et des controverses
<http://www.slateafrique.com/2063/en-france-la-binationalite-au-banc-des-accuses>
dans
les médias, le champ politique et les milieux intellectuels. C’est
notamment le cas avec le match opposant France et Maroc le 14 décembre 2022
durant la Coupe du Monde de football.

Comment peut-on être Français et supporter une équipe de football
étrangère. Dès lors, l’on voit surgir toutes sortes d’explications qui
tournent en général autour des thèmes du « malaise identitaire », de « la
double allégeance »
<https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2011-4-page-3.htm?ref=doi> du
« déficit d’intégration » ou encore de la « crise des banlieues » qui
contribuent généralement à stigmatiser les supporters binationaux
<http://www.mediapart.fr/journal/france/300411/la-binationalite-vrai-phenomene-faux-probleme>.
Au mieux, à entretenir à leur égard un regard compréhensif mais à forte
connotation misérabiliste. Ainsi, les supporters binationaux arboreraient
les emblèmes nationaux du pays de leurs parents ou grands-parents par
réaction aux discriminations subies et au racisme ambiant.

D’une manière générale, quel que soit le positionnement idéologique et
politique des commentateurs du fait binational dans le champ sportif, ce
sont plutôt des interprétations culturalistes et identitaires qui
prédominent, évacuant la dimension sociologique du phénomène.
Un attachement à la francité assumé et transgressif

Or, aujourd’hui les manifestations de binationalité
<https://doi.org/10.3917/migra.163.0003> ou de plurinationalité
<https://books.openedition.org/iremam/3540?lang=fr> dans le champ sportif
ou dans les autres champs sociaux (politique, culturel et économique)
doivent être perçues comme des pratiques sociales banalisées
<http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/06/11/binationalite-notre-futur_1534992_3232.html>
qui
se jouent principalement au sein de l’espace public hexagonal.
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Les supporters exhibent un emblème étranger, revendiquent leur soutien à
une équipe africaine, arabe ou maghrébine, ou encore défilent sur les
Champs-Élysées ou sur le Vieux-Port de Marseille en entonnant les hymnes
nationaux du pays de leurs ancêtres, non pour affirmer une quelconque
rupture avec leur société de naissance (la France) mais, au contraire, pour
exprimer leur attachement à la francité
<https://theses.hal.science/tel-01500092/document**> sur un mode à la fois
assumé et transgressif.

En ce sens, la binationalité des supporters de football l’art de passer
d’un drapeau à l’autre ou de les combiner dans une même séquence temporelle
vient contester les conceptions exclusivistes et puristes de l’identité
nationale qui s’affirment aujourd’hui en Europe, au Maghreb et en Afrique
de l’Ouest, tendant à présenter les binationaux comme des « enfants
illégitimes » <https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1979_num_26_1_2633>.

Car en France, en Algérie et en Tunisie et dans une moindre mesure au
Maroc, les binationaux apparaissent de plus en plus comme des citoyens
suspects. Exhiber sa binationalité dans le stade, c’est donc aussi
transgresser les approches essentialistes de l’identité nationale
<https://irmc.hypotheses.org/295> qui font aujourd’hui un retour en force
sur les deux rives de la Méditerranée, dans des contextes de crise sociale
et économique marqués par la montée des populismes et des nationalismes
exacerbés.
La binationalité en ligne de mire dans les pays d’origine

Sur ce plan, il convient de rappeler que la binationalité a été longtemps
combattue par les États d’origine qui la considéraient comme une forme de
trahison nationale <https://doi.org/10.3917/come.039.0027>, voire
d’apostasie religieuse. Les parents immigrés se devaient d’éduquer leurs
enfants dans le culte des héros et des martyrs des mouvements de libération
nationale et il était inconcevable pour eux qu’ils deviennent « français »
(la nationalité de l’ancien colonisateur). Le système des amicales et des
associations liées aux États d’origine cherchaient ainsi à entretenir le
« mythe du retour » dans la mère-patrie et à préserver les immigrés et
leurs descendants des influences néfastes de la société d’accueil
(permissivité des mœurs, pluralisme politique, liberté syndicale,, etc.)

Dans ce contexte d’émulation nationaliste post-coloniale, le champ sportif,
en général, et le football, en particulier, participaient à entretenir dans
les familles immigrées le sentiment d’allégeance à la nation d’origine.
[image: Des supporters de l’équipe marocaine célèbrent la victoire contre
le Portugal sur les Champs Elysées à Paris, quelques jours avant le match
qui opposera France et Maroc le 14 décembre]
Des supporters de l’équipe marocaine célèbrent la victoire contre le
Portugal sur les Champs Elysées à Paris, quelques jours avant le match qui
opposera France et Maroc le 14 décembre. Stéphane De Sakutin/AFP

De ce point de vue, pour les nouvelles générations nées en France,
l’acquisition ou la réintégration à la nationalité française est apparue
comme un combat individuel et collectif sur deux fronts. D’une part, à
l’égard des États d’origine qui la considéraient comme un acte
antipatriotique et, d’autre part, vis-à-vis d’une partie de la société
française pour qui les enfants d’immigrés africains et maghrébins étaient
encore des étrangers inassimilables ou des « Français de papiers »
<http://www.telerama.fr/idees/nous-sommes-tous-de-mauvais-francais,52033.php>
.

Revendiquer publiquement sa binationalité, notamment dans les événements
sportifs comme la Coupe du monde de football, c’est donc transgresser à la
fois la doxa nationaliste des États d’origine et les préjugés racistes
d’une partie de la société hexagonale.
Le signe d’une émancipation personnelle et collective

Ce détour historique sur la construction des identités nationales
postcoloniales (celle de l’ancienne puissance impériale comme celle des
nouveaux États indépendants) apparaît indispensable pour saisir ce qui se
« joue » aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, dans les rituels sportifs
des binationaux qui sont trop souvent interprétés comme une forme de
« schizophrénie identitaire », de « double allégeance » ou, pire, un défaut
d’intégration sociale, voire d’hostilité à la France
<https://www.slate.fr/story/20425/explication-enlever-nationalite-francaise>
.

Or, au contraire, ces pratiques binationales en rapport avec le foot,
qu’elles émanent des supporters ou des joueurs
<https://doi.org/10.3917/inso.187.0110>, constituent le signe d’une
émancipation personnelle et collective à l’égard d’héritages nationalistes
figés, cherchant à classer les individus et les groupes sociaux dans des
catégories identitaires immobiles et stériles.

On peut être successivement ou simultanément supporter de l’équipe de
France et des Lions de l’Atlas sans y percevoir subjectivement la moindre
incohérence ou trahison identitaire à l’égard de son pays de vie et de la
terre d’origine de ses ancêtres. À cet égard, l’on serait tenté de dire que
les pratiques binationales dans le champ sportif le football en serait la
meilleure illustration constitue la marque d’une forme de modernité sociale
et politique qui, sans nier les identités nationales, tend à les mixer sur
un mode dialogique et ludique.
Des reconstructions identitaires déterritorialisées

Dans le contexte de la Coupe du monde 2022, l’analyse des réseaux sociaux
révèle ainsi l’extraordinaire créativité lexicale et graphique des
internautes pour exprimer par les mots et les images leur soutien à une,
deux, voire trois équipes nationales.

Le Qatar a d’ailleurs su exploiter habilement
<https://www.france24.com/fr/sports/20221130-on-se-sent-ici-chez-nous-maroc-tunisie-arabie-saoudite-au-qatar-la-f%C3%AAte-du-football-arabe>
cette
binationalité sportive, en présentant l’évènement comme une réussite pour
tous les Arabes ici et là-bas (ceux des pays d’origine et de la diaspora)
et comme une communion identitaire pacifique
<https://www.letemps.ch/sport/audela-controverses-coupe-monde-qatar-federe-monde-arabe>
.

Il est vrai que les expressions telles que « la victoire de l’Afrique »,
« le retour du monde arabe », « la célébration du Maghreb » (en arabe, le
mot al-Maghrib désigne à la fois le Maroc et l’ensemble régional) ou « le
moment palestinien »
<https://orientxxi.info/magazine/coupe-du-monde-de-football-un-moment-palestinien,6076>
expriment
un fort sentiment de coappartenance, notamment depuis les bonnes
performances de l’équipe nationale du Maroc.

Toutefois, il ne s’agit pas d’une résurgence au sein des populations
françaises d’ascendance africaine et maghrébine du nationalisme arabe des
années 1960-1970 (avec la figure emblématique de Gamal Abdel Nasser
<https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53279>),
du tiers-mondisme d’antan, de panislamisme, ou d’une quelconque forme de
panafricanisme, car la majorité des descendants d’immigrés, contrairement à
leurs parents et grands-parents, n’ont pas vécu ces mouvements idéologiques
postindépendance.

Il s’agit de reconstructions identitaires déterritorialisées, qui font
d’abord sens dans les débats, les controverses et les enjeux de la société
française actuelle. À la question récurrente et parfois obsédante des
éditorialistes « Comment peut-on être Français et soutenir une équipe
étrangère », la recherche en sciences sociales apporte nécessairement des
réponses nuancées, contribuant à dédramatiser
<https://books.openedition.org/iremam/3540?lang=fr> les pratiques
binationales et à les recontextualiser dans le moment sportif.

   - Tunisie <https://theconversation.com/topics/tunisie-20398>
   - sport <https://theconversation.com/topics/sport-20624>
   - football <https://theconversation.com/topics/football-20898>
   - identité <https://theconversation.com/topics/identite-20946>
   - sociologie <https://theconversation.com/topics/sociologie-21532>
   - racisme <https://theconversation.com/topics/racisme-21596>
   - intégration <https://theconversation.com/topics/integration-21754>
   - Maroc <https://theconversation.com/topics/maroc-32473>
   - France <https://theconversation.com/topics/france-46334>
   - identitaire <https://theconversation.com/topics/identitaire-51758>
   - Coupe du monde Qatar 2022
   <https://theconversation.com/topics/coupe-du-monde-qatar-2022-130239>



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Cherbib Mouhieddine
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