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Algérie : la Justice sociale aussi !

de parte de Mouhieddine Cherbib on 2019-05-11 10:39
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Dans les quartiers populaires d’Oran, la soif de justice sociale
9 MAI 2019 PAR NEJMA BRAHIM

Confrontés à l’insalubrité des logements, au décrochage scolaire, au
chômage ou à la drogue, les habitants des quartiers les plus défavorisés
d’Oran, en Algérie, luttent chaque jour contre les inégalités sociales.
Tous observent le soulèvement populaire de près ou de loin, partagés entre
optimisme, résilience et réalisme.

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Oran (Algérie), envoyée spéciale.– *« Ici, c’est la misère »*, lance
d’emblée Nabil, adossé à un muret. À l’ouest d’Oran, le quartier d’El-Kmin
abrite, depuis quelques années, des habitations de fortune où vivent
majoritairement des familles nombreuses. Les baraquements disposent d’un
toit improvisé en tôle ondulée, sur lequel de grosses pierres sont posées
pour contrer les intempéries. Dans les airs, les câbles électriques se
mêlent à une poignée de paraboles. *« C’est simple, on n’a ni travail ni
argent. On se lève le matin et on tient les murs »*, ajoute-t-il, aux côtés
de ses huit comparses.

Sur son smartphone, la chanson « La liberté » du chanteur algérien Soolking
donne le ton. La brise légère fait danser les feuilles du palmier qui se
tient à sa gauche. À 16 ans, Nabil sort tout juste de prison pour avoir
tenté de rejoindre l’Europe illégalement en bateau. *« Chez moi, on est
cinq frères à vivre et dormir dans la même pièce. Les plus petits n’ont
même pas de quoi manger tous les jours. »* Il laisse entrevoir son couteau
suisse, à peine sorti de sa poche de jogging : depuis sa libération, il
vole pour ramener un peu d’argent à la maison.

Près de lui, Mohamed el-Amine arrange sa casquette blanche tout en
recoiffant sa frange. *« Il n’y en a pas un parmi nous qui ne soit pas las
de vivre dans ces conditions »*, lâche celui qui se dit condamné à vendre
de la drogue pour subvenir aux besoins de sa famille. Il n’est pas le seul
dans ce cas-là.

Au cybercafé du coin, les téléphones et ordinateurs servent de planque à un
autre type de commerce. Casquette sur la tête et claquettes Adidas, Bilal
approvisionne ses clients jusqu’au bout de la nuit, lorsque les quelques
magasins autorisés à vendre de l’alcool ferment le soir. *« Je vends aussi
de la drogue. Je ne vais pas m’en cacher, c’est tout ce qu’on peut faire
pour s’en sortir »*, confie-t-il du bout des lèvres. D’après lui, la
cocaïne fait des ravages dans le quartier. Il retrouve ses amis le soir
pour refaire le monde. *« On vit la nuit parce qu’on n’a pas de travail,
d’argent ou de voiture pour avoir une vie normale en journée »*, souligne
l’un des siens.

Les vendredis, il sort pour manifester son mécontentement contre un système
qui les ignore depuis longtemps. Et réclamer un *« nouveau président »*,
qui se préoccuperait des quartiers comme le sien. *« On ne demande pas
grand-chose, juste un vrai logement ! »*, complète Abdelkrim. Ses yeux
clairs sont pleins d’amertume. Le trentenaire voudrait pouvoir se marier,
mais rejette l’idée de devoir vivre sous le même toit que ses parents avec
sa femme et ses enfants. Une situation de plus en plus courante en Algérie.

Au coin de la rue Jules-Ferry, une silhouette fine apparaît. L’air
déterminé, le sourire franc et la voix portante, Amaria avance tout en
enchaînant les blagues. *« Un visa ! Quelqu’un peut m’avoir un visa pour la
France ? »* À 39 ans, elle travaille à l’usine de lait en poudre pour un
salaire de 30 000 dinars (soit 150 euros). *« Il y a de la prostitution
ici, mais j’arrive à m’en sortir sans avoir à faire ça. Le vrai problème
pour moi, c’est le fait d’habiter dans un bidonville. Surtout qu’il
m’arrive de me retrouver à la rue… »* Ses sourcils se froncent. Un léger
coquard entoure ses yeux qui, sans prévenir, s’assombrissent.

Ses parents sont décédés quelques années plus tôt. Célibataire, elle vit
avec son frère aîné qui, régulièrement, la bat et la chasse de chez
eux. *« J’ai
pris l’habitude de m’installer juste là, à l’entrée du bidonville, avec mes
affaires. »* Elle prend à témoin Aymen et Mohamad, deux adolescents venus
l’écouter. Quand Amaria va voir la police, celle-ci refuse d’agir. Le
reflet du système, selon elle. *« Ils nous ont laissés tomber. Je suis
allée manifester pour les insulter de voleurs. Qu’on me mette au pouvoir,
ils verront de quoi je suis capable ! »*

Alors que le brouillard s’estompe, une dame d’un certain âge approche, avec
à son bras un cabas de courses d’où dépassent deux baguettes de pain. Sa
djellaba rouge tourne à droite et prend les escaliers pour s’embourber à
l’intérieur du bidonville. Aymen et Mohamad, les deux adolescents, suivent
le pas, déambulant dans les dédales de ces ruelles. El-Hadja (comme on
surnomme les aînés par respect) traverse le bidonville où les enfants
jouent à même le sol. Son regard se fige sur un mur où il est tagué en
arabe : *« El-Kmin est le cœur d’Oran. Vous avez besoin de nous pour les
élections, on a besoin de vous pour un meilleur **avenir*. *»*

[image: El-Hadja, 65 ans, accompagnée de son mari âgé de 70 ans. Ils vivent
à huit dans cette habitation de fortune, dont l'entrée est dépourvue de
toit. © Nejma Brahim]El-Hadja, 65 ans, accompagnée de son mari âgé de 70
ans. Ils vivent à huit dans cette habitation de fortune, dont l'entrée est
dépourvue de toit. © Nejma Brahim

Après une dizaine de mètres, el-Hadja toque à une porte en fer forgé. *« L’État
vole l’argent du peuple pendant que nous vivons là »*, lâche-t-elle en
entrant. Son foulard rouge laisse dépasser des cheveux orangés par une
teinture naturelle au henné. À l’intérieur, une minuscule entrée donne sur
une chambre à gauche, une autre à droite. Les femmes s’agitent pour se
couvrir au cas où un homme ferait partie des visiteurs. *« Nous sommes huit
à vivre ici. Mon mari, ma fille, mon fils et sa femme ainsi que leurs trois
enfants. »*

Les deux pièces de vie ne font pas plus de 10 m² et sont fermées par un
simple rideau. Son époux la rejoint dans l’entrée, où la peinture bleue des
murs se décolle et le linge est suspendu à un fil. Le *hirak* (nom donné au
mouvement lancé en février) ? Il estime le faire depuis longtemps : *« Les
gens souffrent beaucoup ici. Ça fait des dizaines d’années qu’on se bat
pour sortir de ce trou. On vit dans l’humidité, la terre et la poussière,
la saleté, et à chaque fois qu’il pleut c’est pire. »* El-Hadja l’assure,
tous ici souffrent de rhumatismes, d’allergies et d’asthme.

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Le couple et ses enfants n’ont pas souhaité manifester. S’ils espèrent que
le mouvement aboutira, ils restent persuadés que rien ne changera pour
eux. *« Ils
ne veulent pas lâcher le pouvoir. Et même s’ils partaient, ils seraient
remplacés par d’autres qui n’en auront que faire de nous »*, suppose
el-Hadj, tout en réajustant sa vieille veste de costume.

Au département de sociologie de l’université d’Oran Es-Senia, Mehdi Souiah
travaille sur la question des quartiers populaires. *« Les quartiers dits
classiques, comme El-Hamri, Sidi El-Houari, ou Medine Jdida, datent en fait
de l’ère coloniale et visaient à regrouper la population indigène*, précise
le chercheur en sociologie urbaine. *Les quartiers dits spontanés se
développent dans les années 1980/1990, dans toutes les grandes et moyennes
villes d'Algérie dont Oran, et prolifèrent avec la crise du logement. »*

Il aime reprendre la formule *« bni w skout » *(construis et tais-toi), qui
date de cette période-là. Ainsi, ces populations qui n’ont pas où aller
s’installent et façonnent des habitations de fortune avec le peu de moyens
dont elles disposent, sans acte de propriété. Ces bidonvilles forment alors
des quartiers spontanés que les pouvoirs publics n’interdisent pas,
promettant un relogement prochain.

*« On y retrouve toutes les problématiques liées à la pauvreté, de
l’insalubrité au chômage, en passant par le trafic de drogue et la
prostitution*, note l’enseignant-chercheur. *Mais il y a aussi une très
forte solidarité au sein de la communauté et un grand sens du civisme. »*
« À quoi ça sert d’aller manifester ? »

De retour à El-Kmin, Aymen et Mohamad sont toujours en vadrouille. Tous
deux issus de familles monoparentales, le premier vit avec sa mère qui est
aveugle, le second avec son père. À 13 ans, les collégiens se disent
réalistes.* « Regardez dans quoi on vit. On fait avec, ou plutôt sans. On
n’a même pas de parc où jouer dans le quartier »*, lance Aymen. *« On est
six à la maison. Ma mère est morte et mon père se débrouille en revendant
des gâteaux »*, complète Mohamad. L’été, ils s’amusent à chasser les taupes
qui entrent chez eux. Ils se souviennent du bébé de leurs voisins, décédé
il y a peu après avoir bu de l’eau sale.

*« On est allés aux manifs car on veut du changement. Ce n’est pas une vie,
on mérite mieux ! »*, lancent-ils à l’unisson. L’avenir, ils ont du mal à
l’imaginer. Ils espèrent avoir une maison, un travail, une famille. *« Pour
aider nos parents. »*

[image: Aymen et Mohamad sont voisins mais aussi camarades de classe. ©
Nejma Brahim]Aymen et Mohamad sont voisins mais aussi camarades de classe.
© Nejma Brahim

Le duo passe devant chez Miloud, un autre habitant du bidonville. L’étroite
porte d’entrée s’ouvre sur une kitchenette et laisse apparaître, tout de
suite à gauche, une pièce d’à peine 9 m² où vivent huit personnes. Il est
17 heures et la lumière est déjà allumée, faute de fenêtre. Le père est
agent de sécurité dans une banque depuis seize ans, sa femme mère au
foyer. *« Je
touche 27 000 dinars par mois (soit 135 euros). En 15 jours, je n’ai déjà
plus rien et je dois emprunter à droite à gauche »*, confie-t-il, entouré
de trois de ses enfants.

À l’heure des devoirs, la famille envoie les deux plus petits chez la
voisine. *« On a besoin de calme, alors elle nous les garde*, sourit la
mère. *Le plus grand a 18 ans. Il est coiffeur en alternance mais n’est pas
payé. La nuit, il va dormir chez sa grand-mère car on n’a pas assez de
place. »* Dans la pièce exiguë, deux lits simples se font face. Le soir
venu, les parents installent des couvertures à même le sol pour compléter
les couchages. *« Ce qui nous sauve, c’est d’être une famille soudée. Ma
femme supporte cette situation depuis vingt ans… à sa place, je ne serais
jamais resté ! »*, ironise Miloud, tout en lui baisant le front. Le couple
attend d’être relogé depuis quinze ans.

Dans le centre-ville d’Oran, depuis une dizaine d’années, de nouvelles
formes d’habitation se répandent. À la cité Perret, rue Mouloud-Feraoun,
les caves de certains immeubles ont été réaménagées pour être habitées.
Dans l’entrée, une flaque d’eau sale oblige les habitants à sauter pour
rejoindre leur terrier, alors que des fils électriques pendouillent au
plafond.

*« Nous vivons là depuis quatre ans, avec mon mari et mes trois enfants »*,
chuchote Khadija pour ne pas réveiller son époux, qui s’est assoupi dans la
pièce d’à côté. Autour d’elle, un lit d’enfant, un frigo et une armoire
suffisent à remplir la chambre de 7 m². Son fils, âgé de 4 ans, joue avec
un saut d’eau qui trône au milieu de la pièce. *« Nous avons des fuites au
plafond »*, soupire-t-elle tout en berçant son bébé. À 30 ans, elle
n’aurait jamais pensé vivre là-dedans.

*« Le phénomène prend de l’ampleur dans les HLM de l’ère coloniale, qui se
transforment avec le temps en quartiers populaires par effet de
paupérisation »*, détaille le sociologue Mehdi Souiah.

L’époux de Khadija travaille dans les chantiers et touche un salaire de
18 000 dinars (soit 90 euros), à peine de quoi faire les courses pour dix
jours. *« Parfois, il ne se nourrit que de café au lait matin, midi et
soir. On aimerait bien que le pays s’arrange, que nos enfants puissent
vivre normalement. Mais il y a peu d’espoir »*, tempère-t-elle.

Chez son voisin de palier, Jamel, la situation est critique. Voilà deux ans
que sa fille qui souffre d’asthme ne dort plus à la maison. *« Il n’y a pas
de fenêtres et l’humidité la rend malade. On a préféré l’envoyer chez sa
grand-mère »*, regrette le père de famille au chômage, dont la femme est
partie et ne souhaite plus vivre dans ces conditions. *« Les autorités
savent qu’on est là, mais personne ne cherche après nous. À croire qu’ils
veulent entretenir cette misère qui détruit des vies »*, assène le jeune
homme.

Comme pour les bidonvilles des quartiers spontanés, les pouvoirs publics
laissent faire en promettant de reloger les habitants par la suite. *« Certains
ont été recasés dans des logements sociaux. Mais c’est encore très
insuffisant »*, note le chercheur Mehdi Souiah. Lassé d’attendre celui
qu’on lui promet depuis sept ans, Jamel a pris sa décision. *« Je n’attends
rien de cette mobilisation. Il n’y a pas de force alternative et même si
une figure émergeait, on lui couperait la tête. Après le ramadan, je
vendrai ce taudis et je me paierai un aller sans retour pour l’Europe en
bateau. »*

[image: Le bidonville du quartier populaire d'El-Kmin, vu d'en haut. Les
toits en tôle ondulée sont retenus par de grosses pierres ou des pneus de
voiture. © Nejma Brahim]Le bidonville du quartier populaire d'El-Kmin, vu
d'en haut. Les toits en tôle ondulée sont retenus par de grosses pierres ou
des pneus de voiture. © Nejma Brahim

Il est 19 heures et la nuit tombe à Rass El-Aïn. Il faut partir d’une route
cabossée, entourée d’une décharge à ciel ouvert, pour s’engouffrer dans le
bidonville niché sur les hauteurs d’Oran. *« Ici, c’est l’anarchie.
Personne n’entre sans connaître quelqu’un »*, avertit Brahim, un habitué
des lieux. Sa voiture longe les bâtisses en ruine et rejoint les hauteurs
où les habitations précaires se suivent et se ressemblent. Faible hauteur
sous plafond, murs faits de brique apparente ou de terre qui s’effrite,
toits en tôle…

*« On n’a aucun droit et que des devoirs*, attaque Saïd, qui est né et a
grandi là. *On est hors la loi sans le vouloir. »* Alors qu’il développe
son discours, une foule s’amasse autour de lui. *« Il n’y a pas de
démocratie dans notre pays ! À quoi ça sert d’aller manifester ? »*,
interroge Tarek. D’après lui, une trentaine de rapports auraient été
déposés à la wilaya pour dénoncer leurs conditions de vie. *« On n’a jamais
eu de retour. Le maire et le Wali d’Oran n’ont jamais mis les pieds à Rass
El-Aïn. Ils se remplissent la panse pendant qu’on meurt de faim. J’en
connais qui doivent agresser juste pour s’acheter une baguette de pain »*,
ajoute Saïd.

Lui non plus n’est pas sorti le vendredi. À 26 ans, il répare des portables
pour gagner sa vie. Il arrête sa scolarité en terminale, quand on veut le
faire redoubler et qu’il dépose un recours qui est alors refusé. La plupart
d’entre eux sont déscolarisés. *« On est complètement isolés, il n’y a même
pas de bus ! Il y a un collège un peu plus bas, mais si on veut aller au
lycée, il faut marcher ou trouver un taxi clandestin pour vous y emmener »*,
détaille Saïd.

Cela fait dix jours que les habitants du quartier sont privés d’eau. Plus
tôt dans la semaine, un poteau électrique, décroché par le vent, gisait au
sol alors qu’il pleuvait. *« Les gens auraient pu s’électrocuter ! »* Le
groupe pointe du doigt le cimetière datant du XVIIIe siècle et laissé à
l’abandon. Situé entre une modeste mosquée et des habitations, il donne
l’aspect, dans la nuit noire, d’un vaste champ de ruines. *« C’est une
honte de laisser un lieu pareil dans cet état ! Ils ne respectent ni les
morts, ni les vivants »*, lâche Saïd.

Faute de jardin et de stade, les enfants préfèrent aller jouer dans la
forêt plutôt que sur le bitume abîmé où certains se sont blessés par le
passé. *« Il y a des sangliers qui passent par notre quartier la nuit. J’ai
parfois l’impression d’être un animal comme eux, pris au piège dans un zoo
à l’écart de la ville. »*

Bien avant le *hirak*, Mehdi Souiah remarque que des *sittings* ont été
organisés devant la wilaya. *« Principalement des habitants de quartiers
populaires venus revendiquer l’égalité des droits et la justice sociale.*
* »* Pour lui, il n’y aurait pas de soulèvement aujourd'hui sans l’aide de
ces habitués des mobilisations pacifiques, qui ont apporté *« toute leur
expérience » *au début. Rester groupés, positionner quelqu’un en fin de
cortège, éviter les bagarres ou trouver les slogans… *« Ces couches de la
population sont souvent celles qui souffrent le plus. Elles ont les bons
réflexes, qu’elles ont mis au service de l’organisation de la
protestation. »*

Jeudi, à 9 heures dans le quartier populaire de Sidi El-Houari, près de la
pêcherie. À proximité de la place principale, l’association SDH (Santé Sidi
El-Houari) impressionne par sa vieille bâtisse qui abrite d’anciens bains
turcs et l’ex-hôpital militaire français de l’ouest algérien. À l’entrée,
les jeunes du coin affluent et rejoignent leurs ateliers respectifs :
depuis les années 2000, l’association lutte pour favoriser leur insertion
professionnelle et sociale.

*« La majorité de notre public est composée de décrocheurs scolaires*, note
Midou, secrétaire général de la structure. *Et plus de la moitié d’entre
eux a moins de 16 ans, alors que l’école est obligatoire jusqu’à cet
âge-là. »* Au total, plus de 600 jeunes ont été formés aux métiers de la
maçonnerie, de la ferronnerie, de la menuiserie ou de la couture. *« Il
nous a fallu du temps pour instaurer une relation de confiance avec les
habitants du quartier, car ils sont très méfiants vis-à-vis des partis
politiques qui ne viennent qu’en période d’élections. Jusqu’à ce jour, nous
insistons sur le fait que nous ne sommes pas encartés »*, poursuit-il en
passant la porte de l’atelier d’électricité.

[image: Quatorze adolescents participent, sur plusieurs mois, à un atelier
d'électricité. Le seul atelier mixte est celui de couture, qui attire de
plus en plus de jeunes hommes des quartiers alentour. © Nejma Brahim]Quatorze
adolescents participent, sur plusieurs mois, à un atelier d'électricité. Le
seul atelier mixte est celui de couture, qui attire de plus en plus de
jeunes hommes des quartiers alentour. © Nejma Brahim

Uniforme gris et casque de protection sur la tête, une dizaine de jeunes
hommes suivent le cours, attentionnés. Aujourd’hui, ils apprennent à
disséquer une lampe et à faire fonctionner un interrupteur. Tous sont âgés
de 15 à 18 ans, en décrochage scolaire et issus des quartiers populaires
alentour (Sidi El-Houari, Planteur ou Rass El-Aïn). *« On a commencé il y a
un mois, ça nous plaît car il y a déjà le symbole de la lumière »*, poétise
l’un d’eux. *« Et puis, il y a du travail là-dedans, on se dit qu’on ne
fait pas tout ça pour rien »*, ajoute son voisin de table.

Le groupe regrette que les travaux manuels soient mal vus de la société
algérienne. *« La mode ces temps-ci, c’est plutôt de travailler dans un
bureau. D’ailleurs à l’école, quand on a des difficultés, le premier truc
qu’on nous dit c’est qu’on finira maçon ! »*, dénonce Samir. Une pression
sociale qui ferme les portes d’un monde déjà restreint, où les jeunes
doivent choisir entre *harraga* (l’émigration) et trafic de drogue.

*« Nos quartiers sont affamés, on vit dans des boîtes d’allumettes !*,
lance un autre, dont le frère a quitté l’Algérie en bateau il y a plusieurs
mois. *Moi, je vais essayer de m’en sortir dans mon pays. Mais je comprends
que ce soit tentant pour la majorité des jeunes du quartier. C’est bien que
des structures comme celles-ci nous donnent une chance. »*

Midou poursuit sa visite des ateliers et se laisse guider par les sons qui
l’accompagnent. Il croise Houssem qui traverse la cour furtivement. Depuis
huit mois, l’adolescent suit une formation de soudure à SDH. *« Il a arrêté
l’école dès la sixième. À son arrivée ici, il voyait tout de façon
négative »*, précise le bénévole. Après quelques secondes, le timide
Houssem ose enfin, les yeux pétillants : *« Je me suis rendu compte que
j’aimais travailler et apprendre des choses. Plus tard, j’aimerais être
chef d’entreprise. »*

À droite, dans une vaste salle où règne l’odeur du bois, le bruit de la
scie laisse entendre qu’il s’agit de l’atelier menuiserie. C’est Aziz, 23
ans, qui en est le responsable. *« Un ancien élève de chez nous*, indique
Midou. *Il nous arrive de garder les meilleurs éléments une fois leur
formation achevée. »*

Lorsqu’il arrête sa scolarité il y a dix ans, Aziz a le choix entre la rue
et le travail. Un ami lui parle de cette association, où il découvre
d’abord la taille de pierre. Puis il choisit de s’orienter vers la
menuiserie, où il se sent plus à l’aise. *« Je n’aimais pas l’école et je
ne voyais pas d’autre alternative. Ici, je me sens utile, j’ai repris
confiance en moi »*, sourit-il, dans son bleu de travail où il est
mentionné *«* *formateur »*.

Pour le chercheur Mehdi Souiah, l’éducation est l’une des nombreuses
problématiques des quartiers populaires. *« Le système ne fait rien pour
maintenir les jeunes dans le système scolaire et pour créer de l’emploi.
Cela résoudrait pourtant bon nombre de problèmes, à commencer par les
conditions de vie, la *harraga* ou la délinquance. Le décrochage scolaire
est important, car les minces perspectives d’avenir ne donnent pas envie
d’étudier »*, analyse le sociologue.

L’autre problématique est celle d’un territoire vide de tout espace de
loisirs dédié aux jeunes. *« Les deux piscines qu’on avait ont été fermées.
On n’a ni jardin, ni terrain de jeux, ni cinéma. »* Ce manque
d’infrastructures, Aziz le vit très mal. Il joue des percussions dans un
groupe de musique et participe à des tournées en Algérie. *« On n’a même
pas de lieu où répéter, alors on s’entraîne dans la forêt. »*

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Mais le problème n’est pas que matériel. Si l’État tente de maigres efforts
en matière de relogement ou de rénovation, la discrimination à l’égard des
habitants des quartiers populaires est très forte. *« Il y a la figure de
l’étranger, venu d’une autre région, ou celle du paysan. Celle-ci est
associée à celle du fauteur de trouble, qui fait grimper l’insécurité*,
note Mehdi Souiah.* Cet imaginaire social exclut une partie des citoyens. »*

Un moyen, selon lui, de stigmatiser des couches populaires pour ne pas les
voir ni les entendre. Déjà isolés du reste de la ville, ces territoires
sont encore davantage privés de mixité sociale car perçus comme dangereux
et donc peu attrayants. *« Il faut que les mentalités changent. À Oran, on
a deux mondes qui cohabitent sans se rencontrer, sans communiquer. Il faut
créer des ponts et la société civile a un rôle à jouer »*, propose Mehdi
Souiah.

En réunion de service, l’équipe de SDH aborde le sujet. *« Dès que je
prononce le nom du quartier, les gens répondent *yalatef* !* [oh mon Dieu !
– ndlr]. *À force d’être mal vus, les habitants des quartiers apprennent à
être sur la défensive. On essaie chaque jour de faire tomber ces
barrières »*, explique Naïma, bénévole à SDH. Ses doigts jouent avec un
stylo. À l’autre bout de la table, le directeur de l’école-chantier de
l’association acquiesce. *« Aider notre jeunesse à retrouver sa place dans
la société… C’est notre *hirak* à nous, ça »*, conclut-il.
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Cherbib Mouhieddine
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